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parer par un autre moyen[1]. » Lorsque la Russie eut rejeté les amendemens de la Porte à la note de Vienne, et lorsque le grand conseil fut convoqué à Constantinople pour se prononcer sur la déclaration de guerre, lord Stratford essaya encore de retarder une résolution suprême, et ne voulut laisser subsister aucune illusion dans l’esprit des ministres turcs.


« Le conseil, écrivait-il, dans sa séance d’hier, n’est pas encore arrivé à une décision irrévocable. Il devait se réunir aujourd’hui, et il existait encore une faible chance de prévenir un parti précipité.

« Pour saisir cette chance dernière, j’ai soumis à la considération de Rechid-Pacha la substance de la dépêche de votre seigneurie. Je lui ai appris avec quelle attention et quelle disposition amicale les modifications de la Porte ont été examinées par le gouvernement de sa majesté, et la conviction délibérée de votre seigneurie qu’elles n’ajoutent en réalité aucune garantie aux termes et à l’esprit de la note du comte de Buol. J’ai peint sous de fortes couleurs le danger auquel la Porte s’exposerait en jouant seule ses ressources contre toutes celles de l’empire russe. Je ne lui ai pas fait mystère des circonstances sous l’influence desquelles se trouve l’Europe, et qui interdisent à la Porte de compter sur une coopération active du dehors. Méconnaissant l’énergie réelle et imprévue que la Porte a déployée dans la prévision de la guerre, je rappelai au ministre ottoman quelques points faibles et surtout la pénurie financière sous laquelle la Porte sera obligée de lutter avec la Russie. Je ne lui cachai point que lors même que nos escadres paraîtraient dans la Mer-Noire, il ne fallait pas attendre de leur part un secours efficace pour forcer les Russes à évacuer les principautés, et pour empêcher les progrès d’une invasion en Bulgarie[2]. »


Enfin, au moment où le désastre de Sinope devait naturellement exalter les sentimens belliqueux à Constantinople, lorsque, comme lord Stratford le rapportait dans sa dépêche du 5 décembre[3], Rechid-Pacha lui-même, sortant des habitudes pacifiques et conciliantes de son caractère, s’unissait de parole et de pensée aux plus violens de ses collègues, quand il y avait une sorte d’émulation guerrière entre le grand conseil, le ministère et le sultan, et une sorte de brigue jalouse de popularité entre ces trois pouvoirs qu’il fallait convertir aux idées de négociation et de paix[4], les représentans des quatre puissances, ayant à leur tête les ambassadeurs de France et d’Angleterre, parvenaient à faire adopter par la Porte des bases de paix ainsi appréciées par la conférence de Vienne dans son protocole du 13 janvier 1854 : « De plus en plus pénétrés de la gravité de la

  1. Corresp., part I, n° 299.
  2. Lord Stratford de Redcliffe to the earl of Clarendon, septemb. 26, 1853. Corresp., part II, N° 142.
  3. Corresp., part II, n° 348.
  4. Lord Stratford to the earl Clarendon, decemb. 17, 1853. Corresp., part II, 369.