Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1010

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des soixante dernières années prouve que les Latins ont plus à craindre les usurpations des Grecs que les Grecs n’ont à redouter, en Terre-Sainte, les usurpations des Latins[1].

Ce résultat obtenu, le seul motif apparent, donné par la Russie à l’Europe, de la mission du prince Menchikof avait disparu. La Russie était obligée de démasquer les desseins qu’elle avait jusque-là dissimulés. Une question bien plus grande allait s’élever. La situation était complètement changée.

Nous allons résumer rapidement les actes du prince Menchikof relatifs à ces nouvelles exigences de la Russie ; nous nous dispenserons de citer tout au long ses diverses notes et les projets de traité, de sened ou de note qui les accompagnaient. Ces documens, livrés dans le temps à la publicité, sont dans toutes les mémoires.

Les prétentions de la Russie furent d’abord exprimées dans toute leur crudité dans le projet de traité secret que le prince Menchikof remit à la Porte quelques jours après son armée, en lui interdisant de le communiquer aux ministres d’Angleterre et de France. Le premier article de ce traité stipulait formellement le protectorat de la religion grecque ; il était ainsi conçu : » Dans le but désiré de faire cesser à jamais toutes les causes de dissension, tous les doutes et tous les différends relativement aux immunités, aux droits et aux privilèges qui ont été accordés et assurés par les anciens empereurs ottomans aux habitans de la Moldavie, de la Valachie et de la Servie, qui, de même que différentes autres nations chrétiennes dans l’empire turc, professent la religion gréco-russe, on est convenu, par la présente convention, des conditions suivantes, savoir : la religion grecque sera toujours protégée dans toutes les églises ; les représentans de la cour impériale auront le droit, comme par le passé, de donner des ordres aux églises, tant à Constantinople que dans d’autres endroits et villes, ainsi qu’aux ecclésiastiques, et comme ces conseils viennent de la part d’un gouvernement voisin et ami, ils seront bien accueillis[2]. » Le 19 avril, après avoir reçu de son gouvernement de nouvelles instructions, le prince Menchikof envoya à la Porte une note verbale où, après avoir spécifié les demandes de la Russie au sujet des lieux-saints, il n’insistait plus sur le traité secret, et le remplaçait par un sened ou une convention. « La Russie, disait-il en allant au-devant de l’objection fondamentale que sa proposition soulevait, ne demande pas à la Porte de concessions politiques ;

  1. Lord Stratford de Redcliffe to the earl of Clarendon, april 20, april 22. Corresp., part I, n° 166, 167. — Lord Cowley to the earl of Clarendon, may 19. Corresp., part I, n° 183.
  2. Projet de traité secret proposé à la Porte par le prince Mentchikof. Corresp., part I, inclosure in n° 153.