Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1008

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa hautesse le droit de les repousser, ce qui d’ailleurs n’empêchera pas le sultan de réformer, de son autorité souveraine, les abus existans, ou la Porte d’exécuter ponctuellement ses traités avec la Russie. Il n’y a pas à craindre que l’empereur Nicolas tente de vous imposer ces propositions par la force. Son caractère personnel, ses obligations vis-à-vis des autres grandes puissances chrétiennes, ses fréquentes déclarations touchant l’indépendance de l’empire turc, repoussent un pareil soupçon. Il ne pourrait jeter le masque et contraindre la Porte à accepter des propositions qui affecteraient matériellement les relations du sultan avec une portion considérable de ses sujets, sans encourir un blâme sévère et sans compromettre de grands intérêts. Si pourtant les prévisions les plus raisonnables étaient déjouées, si son ambassadeur était autorisé à pousser les choses aux dernières extrémités, il resterait encore à la Porte ; la ressource de réserver son consentement jusqu’à ce qu’elle eût consulté ceux de ses alliés qui sont, conjointement avec la Russie, parties au traité de 1841[1]. »

Trois jours après, lord Stratford, écrivant à lord Clarendon, précisait l’objet véritable de la mission du prince Menchikof et la nature des difficultés qui allaient naître. « On peut présumer, disait-il, que l’objet immédiat de la cour de Saint-Pétersbourg est d’acquérir une influence plus large et plus efficace sur la population grecque de cet empire, et de faire peser le joug d’une plus lourde responsabilité sur le gouvernement du sultan, si celui-ci cherche à se soustraire aux conséquences d’un pareil protectorat. En envisageant la question d’un point de vue européen, j’ose penser que votre seigneurie ne sera point surprise de la répugnance de la Porte pour de pareilles propositions venant d’un pareil endroit. J’ai des raisons de croire que tout le monde les voit ici avec soupçon et alarme. Un ministre turc a dit que l’acceptation de ces propositions serait virtuellement le partage de l’empire, cette opinion est peut-être exagérée ; elle représente néanmoins l’impression dominante, et témoigne d’une prévoyance dont il serait dangereux de ne pas tenir compte. Dans mes communications avec les ministres turcs, sur un sujet si délicat, je ne perdrai pas de vue les intérêts importans qui pourraient en être affectés ; et quoique vivement frappé des objections que soulève le principe des propositions russes, je me tiendrai prêt à y introduire au besoin les amendemens propres à en prévenir les mauvais effets dans l’application[2]. »

Lord Stratford exécuta fidèlement son plan, qui fut adopté par les

  1. Lord Stratford de Redcliffe to the earl of Clarendon, april 6, 1853. Corresp., part I, n°150.
  2. April 9, 1853. Corresp., part I, n° 152.