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marche, lorsqu’elle entendit le bruit d’un pas rapide et d’un bâton ferré qui retentissait sur les pierres du chemin. Ce ne pouvait être ni Barmou ni François ; un pressentiment lui traversa le cœur : elle leva la lampe et plaça une main entre ses yeux et le rayon pour mieux voir, au loin. À la porte de la cour venait de paraître une ombre qu’elle crut reconnaître ; elle murmura à demi-voix le nom familier de Losi, auquel on répondit par le nom de Martha, et le jeune régent (car c’était lui) s’élança de son côté avec un cri de joie.

Effrayée, elle éteignit vivement la lampe. — Vous ! c’est vous enfin ! s’écria en allemand le jeune homme, qui la serrait dans ses bras avec un attendrissement passionné.

— Silence, au nom du ciel, Losi ! balbutia-t-elle en s’efforçant de surmonter sa propre émotion. Etes-vous sûr que personne ne vous ait vu ?

— Moi ? Je ne sais, reprit Aloïsius ; j’arrive, vous voilà, que m’importe le reste ?

Et, la serrant sur son cœur, il baisait ses deux mains avec ivresse. Marthe, partagée entré la crainte et son trouble joyeux, l’attira vivement dans l’ombre, sous la galerie.

— Sur votre âme ! plus bas ! murmura-t-elle ; on pourrait vous entendre !

— Mais que se passe-t-il donc ? demanda le régent surpris. Au pied de la montée, j’ai voulu m’informer à un chalet de la route des Morneux, et, en entendant mon allemand, le maître du logis m’a chassé avec des menaces. A-t-on gardé ici un tel souvenir de Berne, que quiconque en arrive soit traité en ennemi[1] ? Répondez, Martha, qu’y a-t-il enfin ?

— Il y a que mon parrain ne veut pas vous recevoir, répliqua rapidement la jeune fille.

— Et pourquoi cela ? Qui a pu le prévenir contre moi ?

— Je vous l’expliquerai plus tard, dit Marthe avec un peu d’embarras ; ce soir, c’est impossible… A chaque instant il peut venir…

— Eh ! qu’il vienne ! interrompit Aloïsius avec un mouvement d’impatience ; je lui dirai ce qui m’amène.

— Non, non, pas aujourd’hui, Losi, pas maintenant, interrompit Marthe, de plus en plus agitée ; redescendez à Cully ; je parlerai à l’oncle Jacques, je le préparerai à votre arrivée, car la lettre de ma mère ne l’annonçait que pour demain.

— Il est vrai, Martha ; mais j’étais si pressé de vous revoir ! J’ai marché nuit et jour.

  1. Le canton de Vaud a subi longtemps la domination bernoise, qui y a laissé de pénibles souvenirs.