Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/981

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agréable nouveauté. Jacques s’approcha de la fenêtre et regarda dans la salle basse. Marthe s’occupait à préparer le souper, tout en entrecoupant ces soins domestiques de modulations folâtres. Il y avait dans son accent plus sonore, dans ses mouvemens plus vifs, dans ses traits épanouis, une expression d’ivresse qui prouvait que l’âme de la jeune fille venait de recevoir une de ces joyeuses secousses qui doublent la vie. Barmou comprit sans peine le motif de cette sorte de transport, lorsqu’il la vit s’arrêter tout à coup, tirer de son corsage une lettre, en relire quelques lignes et la baiser. Elle avait toujours accueilli de même les missives qui lui étaient arrivées timbrées du cachet de Berne, et qui lui apportaient des nouvelles de sa mère.

Le paysan avança la tête par la croisée ouverte, et frappant sur le vitrage : — Je t’y prends, nonchalante ! cria-t-il de sa plus grosse voix ; c’est à cela que tu t’occupes, pas vrai, quand le maître est dehors !

Au premier mot, la jeune fille s’était retournée en cachant le papier dans son corsage.

— Tu n’as que faire de le celer, continua-t-il en s’efforçant de garder son ton grondeur ; j’ai vu que l’homme de la poste était venu.

— Il est vrai, répliqua la jeune fille, qui avait beaucoup rougi ; mais mon parrain est mouillé…

— Cela me regarde, reprit le paysan en entrant. Ce sont des nouvelles de ta mère, hein ?

— Oui… il y a de ses nouvelles, dit Marthe avec embarras ; elle se porte toujours bien, grâce à Dieu !…

— Et à sa bonne constitution ! acheva ironiquement Barmou. Mais en voilà un temps ! Cette gueuse de pluie m’a percé jusqu’au linge.

— J’en avais peur, fit observer la jeune fille, et j’ai préparé à mon parrain de quoi changer : il trouvera tout sur le grand fauteuil.

— C’est bon, dit Jacques, satisfait au fond de cette attention, mais qui ne voulait point le laisser voir, on sait encore se servir soi-même. Vois donc comme ça tombe à cette heure ! On dirait que toutes les gouvières[1] de là haut viennent de crever. Aux mille diables le temps et celui qui le fait !

Il sortit sur ce blasphème et alla reprendre son costume journalier. Lorsqu’il reparut, Marthe, qui avait jeté au foyer une poignée de sarmens, l’invita à s’approcher de la brillante flambée ; mais le front de Jacques était aussi sombre que le ciel. Cette salle basse où il n’entrait que pour prendre ses repas ou se chauffer un instant avant l’heure du sommeil n’avait rien qui pût l’occuper ni le distraire. Il promena autour de lui des regards mécontens qui s’arrêtèrent tout

  1. Gouvières, mares.