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des nouvelles de son pays, en offrant de leur céder, moyennant un tribut, la souveraineté héréditaire de ses états, et certes, dans la description qu’il en donne, il y avait de quoi tenter l’empereur et le roi, tout en les effrayant un peu. Les bêtes qui vivent sur la terre de prêtre Jean atteignent des proportions gigantesques : les lièvres y sont gros comme des moutons, les mouches y sont grosses comme des vautours. D’immenses troupeaux de bœufs à sept cornes, des ours blancs, des lions rouges, verts et noirs, peuplent les plaines, les montagnes et les forêts. Des oiseaux, nommés yllerions, portent des ailes tranchantes comme des rasoirs : ils vivent soixante ans, et, comme le phénix, ils ont la faculté de ressusciter ; mais au lieu de se brûler pour renaître, ils se jettent à l’eau, se noient, et reparaissent bientôt dans la force et l’éclat de la jeunesse. Des vers, longs comme des boas, filent, pour prêtre Jean et pour sa femme, une soie magnifique, au milieu d’un immense brasier que quarante mille personnes entretiennent jour et nuit au sommet d’une montagne. Un serpent ailé à neuf têtes, qui ne dort qu’une seule fois dans l’année, garde, à une journée de marche du paradis terrestre, l’arbre de vie qui produit le saint chrême. Prêtre Jean, qui participe de la nature merveilleuse des sujets de son empire, est âgé de cinq cent sept ans, mais il ne ressent point les atteintes de l’âge, et il entreprend sans fatigue les expéditions les plus aventureuses. Chaque année, quand saint Thomas est venu prêcher le carême dans son royaume, il fait un pèlerinage au tombeau du prophète Daniel, avec dix mille clercs, autant de chevaliers, et deux cents éléphans qui portent, non plus des tours, mais des châteaux, pour exorciser et combattre les dragons qui guettent la caravane au passage ; enfin, quand il entre en campagne, il se fait accompagner par des anthropophages qui se nourrissent de chair humaine en rémission de leurs péchés. Il lâche contre ses ennemis ces mangeurs terribles, qui les dévorent sans en laisser une bouchée, et, quand ils ont fini leur besogne, il se hâte de les licencier, de peur d’en être dévoré lui-même. Après avoir raconté tous ces prodiges, prêtre Jean termine sa description en disant que dans son royaume le mensonge est puni de mort.

Les récits d’Alexandre ne le cèdent en rien à ceux de prêtre Jean. Le héros macédonien rend compte à sa mère Olympias et à son précepteur Aristote de ses expéditions dans l’Asie ; mais au lieu de parler des peuples qu’il a soumis, de Darius et de la bataille d’Arbelles, il s’occupe uniquement des animaux, des hommes sauvages et des géans qu’il a rencontrés sur sa route, et sa lettre, comme celle de prêtre Jean, est une véritable encyclopédie tératologique. Ce n’est point le sceptre de la monarchie universelle que le héros va chercher