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signal des batailles, annoncent la victoire et commandent à ceux mêmes qui commandent au monde[1]. » Les dieux eux-mêmes ne dédaignent point d’interroger les oiseaux. C’est ainsi que Jupiter, mal renseigné sur le monde dont il était le maître suprême, eut un jour la curiosité de savoir où se trouvait précisément le milieu de la terre : il donna ordre à deux aigles de partir l’un vers l’est, l’autre vers le couchant, et de suivre leur route à travers les airs, en ligne droite, d’un vol toujours égal, jusqu’au moment où ils se rejoindraient tous deux. Les oiseaux obéirent. Après un long voyage, ils se rencontrèrent au Parnasse, au-dessus du sanctuaire de l’oracle de Delphes, et les habitans de cette ville, en mémoire de cette rencontre, consacrèrent dans le temple d’Apollon deux aigles d’or ; car c’était là, d’après la tradition antique, que se trouvait l’όμφαλός, le nombril de la terre, le point central et sacré, le pays de Meath des Irlandais, le Midhyama des Hindous, le Midheim des Scandinaves, le Cuzco des Péruviens, la Palestine des Hébreux.

Après avoir placé les animaux dans les temples, en les revêtant du caractère sacré des oracles, le polythéisme les place dans l’Olympe, en compagnie des dieux. Ministre complaisant des vengeances ou des plaisirs de Jupiter, l’aigle qui veille auprès de son tronc porte sa foudre ou ses messages d’amour, le serpent s’enlace autour du caducée de Mercure, le hibou dort sur le casque de Minerve. Les chevaux de l’Olympe se nourrissent d’ambroisie ; Homère, qui les associe à l’immortalité des dieux, les peint comme plus légers que ces dieux eux-mêmes. Les divinités du polythéisme, symboles des passions, des vices des hommes, ou des forces productives de la nature, sont à leur tour symbolisées par des animaux, et quand elles se manifestent aux hommes, elles empruntent, comme Jupiter, la figure du cygne ou du taureau, comme Esculape la figure du serpent. Héritier direct des rois détrônés de l’Olympe. Satan, au moyen âge, revêtira comme eux les formes de la bête ; les cornes du taureau reparaîtront sur le front maudit de ce proscrit de l’abîme, et sous la peau du reptile il représentera, aux pieds des saints, la mort et le péché, comme le serpent, aux pieds d’Esculape, représentait la santé et la vie.

Ce n’est point assez cependant pour le polythéisme, qu’un père de l’église appelle la Julie du genre humain, d’avoir fait des animaux les confidens des dieux : pourquoi ne les placerait-on pas eux-mêmes au rang des divinités ? C’est en effet ce qui arrive. Rome voue un culte aux sauterelles, et célèbre avec vénération, le 8 des calendes de décembre, la fête de ces étranges déesses, pour les rendre favorables aux récoltes de l’Italie. Les Phéniciens, les Cananéens, les

  1. Histoire Naturelle, liv. X, XXIV, 21.