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les enfers même, sont remplis d’animaux terribles et hideux : ce sont les chevaux ailés, les dragons, les crocottes qui appellent les bûcherons par leur nom pour les dévorer, les grillons à la gueule pointue, oiseaux gigantesques à quatre pieds, portant des grilles de lion et des plumes rouges sur le dos ; le catoblépas, dont le regard tue le guerrier le plus vigoureux : le marticore, que l’historien Ctésias représente avec trois rangées de dents superposées, une peau couleur de sang, des yeux verts, des oreilles d’homme, le corps du lion et une queue de scorpion avec laquelle il lance des javelines. Pline parle de poissons à tête de taureau et de cheval qui sortent chaque jour des mers de l’Arabie pour aller paître dans les champs. Dans l’Océan indien, cette mer des prodiges, le dos des baleines a une superficie de quatre arpens, et les anguilles du Gange sont longues de trente coudées[1]. Des thons monstrueux se rangent en bataille pour barrer le passage à la flotte d’Alexandre, et les gardes prétoriennes livrent des combats acharnés à des serpens de mer, dont le sang rougit les flots dans une étendue de trente mille pas. Les onocentaures, les centaures, les hippocentaures, les satyres, les sirènes, confondent avec les formes de l’homme celles du cheval, du singe, du bouc, des oiseaux et des poissons. Les filles de Phorcys, dont parle Eschyle, sœurs au visage de cygne, n’ont à elles deux qu’un œil et une dent, et les Gorgones portent des serpens pour cheveux. Suivant une tradition qui s’est perpétuée jusque dans le moyen âge, la plupart de ces monstres avaient été engendrés dans le chaos, avant la formation de la terre, au moment où l’univers n’était encore qu’une masse d’eau ensevelie dans les ténèbres. Leur existence n’était point seulement attestée par la poésie ou la superstition populaire, elle était aussi certifiée par la science. Pline rapporte qu’on montrait à Rome, sous le règne de Claude, un centaure embaumé dans du miel, et les écrivains les plus éminens des premiers siècles du christianisme, tels que saint Jérôme, saint Justin, saint Cyprien, admettent l’existence de ces êtres fabuleux ; ils croient reconnaître en eux des anges déchus condamnés à errer, jusqu’à la consommation des siècles, dans les forêts et les déserts.

Toutes les créatures hybrides dont nous venons de parler forment dans l’antiquité de nombreuses familles, et se trouvent dispersées sur tous les points de la terre. Il en est d’autres au contraire qui, composées également de lambeaux humains unis aux formes de la bête, ne sont représentées que par un seul individu qui meurt sans se reproduire, ou qui donne le jour à des monstres d’une nature toute différente. Telle est la Chimère, fille d’Erchidna, belle nymphe de la moitié

  1. Pline, Hist. Natur., IX, II, 3.