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milieu de leurs épreuves. Seulement ce phénomène, invariable au fond, revêt des apparences très-diverses, suivant le caractère des races et leurs habitudes, suivant les influences exercées par le climat et les circonstances locales. Il faut d’ailleurs juger les gouvernemens asiatiques d’un autre point de vue que celui où nous placent les tendances manifestes de l’Occident à discuter plus sérieusement de jour en jour le principe d’autorité. On se tromperait si l’on envisageait la soumission des Orientaux au pouvoir comme une soumission aveugle, excluant tout sentiment de dignité et toute revendication des libertés nationales. Les Hindous en particulier, qui nous ont été représentés comme voués depuis un temps immémorial à la vie contemplative, esclaves de leurs traditions superstitieuses et spectateurs presque impassibles du mouvement des autres peuples, sont loin de justifier la réputation d’insouciance et de servilité qu’on leur a faite. Les grands événemens qui se sont accomplis dans l’Hindoustan portent l’empreinte d’une nationalité vivace, peu disposée sans doute, à étendre son influence au dehors par la conquête, subissant avec résignation l’invasion étrangère, quand celle-ci réussissait, après une lutte meurtrière, à s’emparer du gouvernement, mais jalouse de ses libertés municipales et maintenant ses coutumes antiques et ses pratiques religieuses avec une fermeté et une persévérance inébranlables.

Parmi les conquérans qui ont envahi l’Hindoustan avec l’intention d’y fonder une domination durable, deux seulement ont pleinement compris à quelles conditions la conquête devait satisfaire pour se faire accepter des peuples qu’elle avait soumis : Alexandre et Akbar[1]. Un seul, Akbar, a réussi à fonder un grand empire qu’il a transmis à ses descendais, et quand cet empire dont leurs faibles mains ne pouvaient plus soutenir le poids s’est écroulé en ébranlant l’Asie entière, l’Angleterre en a recueilli les débris, que la France, déjà occupée de sa grande révolution, n’a pu lui disputer qu’un instant. L’Angleterre s’efforce aujourd’hui de reconstruire l’édifice impérial sur des bases puissantes ; en creusant le sol politique, elle retrouve celles que le génie d’Akbar avait posées, et reconnaît, après deux siècles d’hésitation, qu’elles sont les seules sur lesquelles puisse s’asseoir une domination étrangère. Ces deux faits, également remarquables, ont depuis longtemps appelé notre attention, et notre tâche, après avoir retracé les principaux événemens de la vie d’Akbar, doit être de ressaisir

  1. D’après la prononciation persane, il faudrait écrire Ekber, mais dans l’Hindoustan, siège de la domination de ce prince, son nom est universellement prononcé comme nous l’écrivons : Akbăr, avec le second a très bref. Au moins est-ce, dans notre conviction, l’approximation la plus grande qu’il soit possible d’atteindre en employant les lettres de notre alphabet.