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par un examen plus sévère, par une érudition plus complète. La sienne n'est pas méprisable, mais elle n'est pas profonde, et elle est rarement textuelle. Sa sagacité est limitée par un parti pris d'incrédulité qui peut, tout aussi bien qu'une foi préconçue, aveugler l'esprit. Cependant s'il est hostile, il est en général mesuré. Il est passionné, mais il est sérieux. On doit le lire avec défiance, mais avec attention. La partialité et la malveillance sont ses plus grands défauts ; mais ce serait imiter la hauteur superficielle et tranchante avec laquelle il juge les théologiens que de le déclarer indigne d'être réfuté. Il est vrai que, dans sa critique des livres saints, il a beaucoup emprunté à Richard Simon.

Pope le mettait de beaucoup au-dessus de tous les écrivains de son temps. Nous avons vu quel était le sentiment de Chesterfield. Horace Walpole, qui juge Bolingbroke avec une juste sévérité, le tient pour un des meilleurs écrivains de l'Angleterre. Lord Brougham remarque qu'il a imité la manière de Shaftesbury et visiblement étudié la prose de Dryden. Cependant son style véhément, épigrammatique, coloré, mais un peu diffus, est plutôt d'un orateur que d'un écrivain. L'ordre, la précision, le naturel, la vérité, ne sont pas ses qualités éminentes ; mais il réunit toutes celles qui sont indispensables à l'éloquence.

Il nous semble qu’à le prendre en général, Bolingbroke a de l’élévation, quoiqu’il narrive pas au sublime, un esprit vif et hardi, mais qui cherche le singulier, des vues plutôt que des principes, plus d’élégance que de grâce, un talent animé et brillant sans une puissante imagination, sans une véritable originalité. Sa diction est soutenue, ornée, non pas froide, mais monotone, non pas obscure, mais privée de ces traits lumineux qui portent un jour subit dans la pensée. Son éloquence parlée devait être digne, facile, abondante ; il devait avoir de la chaleur et du mouvement, mais ni l'entraînement de la passion ni cette puissance de dialectique qui subjugue la conviction. Dans l’attaque, il devait blesser par des sarcasmes dédaigneux plutôt qu’accabler par l’invective, et ce qu’on raconte de ses manières, de sa figure et de sa façon de dire le place au rang de ces orateurs dont l’éloquence réside en grande partie dans l’action, et ce ne sont pas les moins dignes de la tribune. Chez lui, l’écrivain et l’orateur sont à nos yeux au-dessus du reste ; le politique et l’homme ne les égalent pas. L’un et l’autre n’avaient que les apparences de la grandeur ; il est toujours heureux que la grandeur réelle manque là où ne sont pas la bonté ni la vertu.


CHARLES DE REMUSAT.