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impétueux dans l’action, si clément après la victoire, que toute opposition de cette nature cessa de se produire au bout de quelques années. À vingt-cinq ans, il était maître chez lui, et put songer à étendre sa domination au dehors.

De 1561 à 1568, Akbar avait reconquis le Malwâ, chassé les Afghans d’Aoudh, réduit une partie du Marwâr, châtié ou ramené a l’obéissance les généraux réfractaires. Son attention se reporta bientôt sur le Radjpoutâna, dont l’importance politique et les ressources militaires étaient appréciées par sa haute intelligence. Bahâra Mall, radja d’Amber (aujourd’hui Djeypour), était déjà dévoué à ses intérêts et lui avait donné sa fille en mariage[1]. Le radja et son fils Bhagwân-Dass figuraient parmi les principaux généraux de l’armée impériale. Akbar résolut de placer également dans sa dépendance le puissant prince du Méwâr. La protection accordée par ce chef à l’ancien gouverneur de Malwa, Baz-Bahadour[2], et à un autre révolté fournit un prétexte plausible à l’attaque projetée. Les événemens vraiment héroïques de cette guerre, racontée en détail dans l’Akbar Nameh, d’Abou’l-Fazl, dans Férishta et dans les Annals of Râjast’han, de Tod, mirent en relief les traits distinctifs du noble caractère radjpout. Hommes, femmes, adolescens, combattirent avec la même ardeur pour la cause nationale, et lorsqu’il devint évident que l’antique capitale du Méwâr allait tomber au pouvoir d’Akbar, le fatal sacrifice du djouhar fut résolu au moment prévu de l’assaut[3]. Les guerriers revêtirent la robe jaune, symbole de leur détermination suprême de mourir pour la patrie ; les portes de la ville s’ouvrirent devant ses intrépides défenseurs, et presque tous se firent massacrer dans les rangs moghols, après des prodiges de valeur, tandis que leurs femmes et leurs enfans, livrés aux flammes, échappaient ainsi aux insultes et

  1. Bahâra Mall parait avoir été le premier prince radjpout qui ait reconnu la suzeraineté des empereurs moghols. Il avait épousé les intérêts de Bâbar et accepté de Houmâyoûn le titre de mansabdar (commandant) de cinq mille chevaux. Il est difficile de déterminer, avec quelque degré de précision, ce qui se rapporte aux alliances matrimoniales contractées par Akbar et son fils Sélim (depuis Djahân-Guir). Tod assure (Annals of Rajast’ han, vol. II, p. 353) que la fille de Bhagwan Dass fut la première princesse radjpoutnie donnée en mariage à un prince musulman (Sélim), mais il avait dit auparavant (vol. Ier, p. 323) que l’empereur Akbar avait épousé une fille de Bahara Mall. Cette alliance est mentionnée par Férishta (traduction de Briggs), mais les noms du prince radjpout ne sont pas les mêmes. Il n’est pas douteux toutefois que Férishta ne fasse allusion aux princes d’Amber.
  2. Rebelle qui fit plus tard sa soumission, et auquel Akbar accorda un généreux pardon.
  3. Djouhar, — sacrifice des femmes et des enfans par le fer et par la flamme, dernière ressource du désespoir et du fanatisme de l’indépendance parmi les Hindous, pour soustraire leurs familles au joug de la servitude et l’honneur conjugal ou paternel à la flétrissure du viol.