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dans les lois générales que ce monde a reçues et dans l’harmonie universelle des choses. Une des preuves de cette harmonie est dans un certain rapport fondamental entre l’idée de Dieu et la raison de l’homme, et c’est par là que le principe général de la morale peut être assis sur une base universelle. Aussi quelques-unes de nos idées correspondent-elles à certaines conditions des choses qui en sont comme les archétypes : c’est à peu près là tout ce qu’on peut savoir d’absolu, c’est là toute la philosophie première. Tout ce qu’on en prétend déduire sur les lois particulières du monde, sur l’action de Dieu dans la création, sur ses attributs autres que la puissance et la sagesse, sur la nature de l’esprit comme de la matière, sur ce qui existe en dehors de ce monde, sur ce qui doit subsister après cette vie, est hasardé, artificiel, chimérique. Bolingbroke veut bien pourtant tenir Locke pour son maître dans la science de la nature humaine. C’est le seul à qui il rende cet hommage, et son exemple a dû déterminer Voltaire. Comme il est de ces métaphysiciens qui nient la métaphysique, tous les philosophes qui ont porté leur regard jusqu’à la nature des choses lui sont suspects, et Platon, Descartes, Leibnitz, sont traités par lui comme des rêveurs. Il ne récuse les théologies et les religions que parce qu’elles ont aussi prétendu résoudre les insolubles questions. Elles doivent être proscrites au même titre que toute autre tentative de philosophie première. L’illusion ou l’imposture a exagéré la portée de la connaissance humaine et défiguré, en les amplifiant, les seules vérités que la raison révèle et qui se retrouvent dans la tradition. Toute cette doctrine, qui, nous n’avons pas besoin de le dire, ne nous satisfait pas, est développée assez habilement. Le ton est grave, le style distingué, la clarté suffisante, le raisonnement plausible. Il s’y rencontre des idées justes et des observations spirituelles; mais le coup d’œil n’est pas sûr, et le champ n’est pas large. Il y a plus de talent d’exposition que de démonstration. L’examen de la nature humaine n’est pas poussé assez avant. Quoiqu’il fût trop rigoureux de contester à l’auteur des connaissances philosophiques, il n’a pas toujours pénétré au fond des systèmes qu’il discute, et l’antiquité, avec laquelle il paraît plus familiarisé que Locke ou Descartes, aurait encore bien des choses à lui apprendre. Ce défaut rend plus importune la légèreté méprisante avec laquelle il condamne les écoles dont il n’est pas, et rejette des opinions qu’il n’a pas toujours comprises. Ce défaut d’ailleurs ne lui est point particulier, et c’est celui de presque toute la philosophie moderne jusqu’à la fin du dernier siècle. Les mêmes reproches s’adresseraient avec non moins de sévérité à la portion de l’ouvrage qui traite d’histoire et de doctrine religieuse. Une partie de ses objections et de ses remarques pourraient être ou détruites ou modifiées