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conseiller intègre autant qu’habile, échappé au désastre de Kanaodje, parvint à rejoindre Houmâyoûn, qui l’accueillit avec la joie la plus vive, l’investit plus que jamais de sa confiance, et le nomma gouverneur du prince impérial.

Akbar (Djallal-oud-dîn Mohammad) naquit le 14 octobre 1542[1]. Il faut s’arrêter un instant devant cette date. En examinant attentivement la marche de l’esprit humain vers cette époque, nous avons été frappé du concours des tendances progressives qui, d’un bout à l’autre du monde civilisé, semblaient entraîner les peuples à des modifications plus ou moins profondes de leur organisation. On y remarque les symptômes d’une transition critique indiquée sur tous les points par une lutte, déjà commencée ou imminente, entre des principes ennemis. On peut prévoir que cette lutte embrassera non-seulement les croyances religieuses, mais les théories politiques, le développement industriel, le mouvement scientifique, qu’elle affectera jusqu’aux mœurs et aux habitudes des nations les plus fanatiquement vouées au statu quo. Au moment où l’étoile d’Akbar se levait sur l’Orient, celle de Charles-Quint pâlissait dans l’Occident. La France allait se venger à Cérisoles de l’humiliation de Pavie, et se préparait à occuper sur la scène européenne le haut rang où devaient la porter Henri IV et Sully, ces amis du peuple. La plume satirique et mordante de Rabelais, protégeant par la vulgarité de la forme l’indépendance et la hardiesse de la pensée, immolait le passé aux instincts novateurs de la multitude. La société occidentale entrait manifestement et irrévocablement dans la phase révolutionnaire qui caractérise plus spécialement l’époque moderne. Rois, nobles, prêtres, les papes eux-mêmes, participaient instinctivement de ces tendances. Henri VIII se séparait de Rome avec éclat, mais Charles-Quint et François Ier s’en affranchissaient de fait comme lui. Les rois catholiques, sans s’arroger ouvertement une vaine suprématie spirituelle, étaient pour leurs clergés respectifs des maîtres non moins absolus, non moins indépendant du pouvoir papal que les princes protestans. Partout, en un mot, le pouvoir spirituel se subordonnait au pouvoir temporel ; mais, tout en subissant cette humiliation nécessaire, il s’efforçait de sauver sa dignité par une coalition intime avec la monarchie, et pour organiser ce nouveau mode d’action, cette résistance implicite à la destruction dont il se voyait déjà menacé, il fondait, en 1541, la compagnie de Jésus. Ainsi cette institution célèbre

  1. Dhouher fait naître Akbar environ un mois plus tard, et lui fait donner par son père le prénom de Bouddr-oud-Din (pleine lune de la religion), au lieu de Djallal-oud-Din (gloire de la religion), qui est le prénom adopté par les autres historiens. Quoi qu’il en soit, Akbar, par l’indépendance de ses opinions religieuses, fut loin de mériter ces titres aux yeux des bons musulmans.