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vaillant comme son père sur un champ de bataille, mais plus faible de caractère, moins bon, mais plus débonnaire, sachant bien moins juger les hommes et les choses, il laissa promptement se développer les germes de dissolution que le nouvel empire portail dans son sein. Dès son avènement, Houmâyoûn eut à lutter contre l’ambition de ses frères Kamrân. Hindâl et Mirza Askăry, contre la rivalité insidieuse de Bahâdour-Shâh, sultan de Goudjrât (Guizarate), et la rébellion des chefs afghans que Bâbăr avait soumis. Parmi ces derniers se révéla son plus redoutable ennemi, Shère-Khân (depuis Shère-Shâh), grand homme de guerre et grand politique, aussi dangereux comme négociateur que comme général, toujours prêt à violer ses promesses pendant la paix, toujours habile à profiter des moindres fautes de son antagoniste pendant la guerre, Houmâyoûn put réussir à tirer une vengeance éclatante de Bahâdour-Shâh ; mais son imprudent dédain de la mauvaise foi et des ressources de Shère-Khân, ressources toujours croissantes, ne tarda pas à lui coûter cher. Abandonné par ses frères ou mal servi par eux dans cette lutte inégale, il fut réduit à livrer deux fois bataille à Shère-Khân dans des circonstances défavorables, et fut battu.

Echappé miraculeusement à ces deux défaites désastreuses[1], il se vit contraint d’abandonner l’Hindoustan et de chercher un asile,

  1. Dans la première de ces batailles, l’empereur, sur le point d’être fait prisonnier, se jette à cheval dans le Gange ; mais, avant qu’il ait pu atteindre la rive opposée, le pauvre animal, épuisé par les fatigues de la journée, enfonce, et l’empereur se fût noyé avec lui, s’il n’entêté secouru par un porteur d’eau qui traversait lui-même le fleuve sur son machăh (outre) enflé d’air, et qui y donna place au prince fugitif. Houmâyoûn, dans le premier élan de sa reconnaissance, promit au porteur d’eau, son sauveur, qu’il le ferait asseoir, pendant deux heures, sur son trône, à Agra, qu’il pourrait, pendant ces deux heures, demander tout ce qu’il lui plairait, et que ses désirs seraient immédiatement exaucés. Le fidèle Djouher, l’échanson et l’historien de Houmâyoûn (*), assure dans ses mémoires que porteur d’eau se présenta au palais aussitôt qu’il sut que l’empereur était heureusement arrivé à Agra, et que l’empereur tint parole. Il eût été curieux de savoir ce que le pauvre homme demanda pendant son intronisation de deux heures, mais Djouher n’en dit rien. — À la déroute de Kanaodje, le cheval de l’empereur avait été blessé ; Houmâyoûn, obligé de fuir et de mettre de nouveau, s’il le pouvait, le Gange entre son ennemi et lui, monta sur un éléphant qu’il rencontra au bord du fleuve, mais dont le conducteur paraissait plus disposé à trahir le prince qu’a le servir. Houmâyoûn assena au mahavat un coup de sabre qui le précipita dans l’eau. Un eunuque dévoué, qui se trouvait derrière l’empereur, remplaça le mahavat sur le cou de l’animal et le guida au travers du fleuve ; mais quand on atteignit la rive opposée, cette rive se trouva tellement escarpée, que l’empereur n’eût pu réussir à la gravir, si un hasard providentiel n’eût amené sur ce point quelques soldats de son parti qui, liant leurs turbans ensemble, en firent une longue écharpe à l’aide de laquelle ils parvinrent à le hisser sain et sauf sur la berge.
    (*)The Tezkereh al Vakiat, or private Memoirs of the Moghul emperor Huayun, written in the persian language, by Jouher, a confidential domestic of his majesty, translated by Major Charles tewat. London, 1832, in-4o.