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dire comment j’en ai été affecté, certainement il a beaucoup de talent ; mais il me semble qu’il l’emploie ordinairement contre les choses, et il ne faudrait l’employer qu’à peindre les choses… Celui qui attaque la religion révélée n’attaque que la religion révélée ; mais celui qui attaque la religion naturelle attaque toutes les religions du monde… J’ajoute à ceci : quel peut être le motif d’attaquer la religion révélée en Angleterre ? on l’y a tellement purgée de tout préjugé destructeur?... Tout homme qui l’attaque l’attaque sans intérêt, et cet homme, quand il réussirait, quand même il aurait raison dans le fond, ne ferait que détruire une infinité de biens pratiques pour établir une vérité purement spéculative. » N’admirez-vous pas une singulière intelligence entre l’esprit anglais et le génie de Montesquieu !

Bolingbroke rencontra un censeur d’une plus grande autorité que Warburton. Leland, après avoir combattu dans un écrit spécial celle des Lettres sur l’Histoire où les livres saints sont attaqués, comprit Bolingbroke dans sa Revue des principaux écrivains déistes en Angleterre depuis un siècle. L’examen méthodique de la doctrine de Bolingbroke est une partie considérable de ce solide ouvrage. Leland, sans être un écrivain d’un grand talent, est certainement digne du rang que toutes les écoles chrétiennes lui assignent parmi les apologistes de la religion.

Mais ce qu’il y eut de plus triste pour la mémoire de Bolingbroke, ce n’est pas la polémique, c’est l’indifférence qui accueillit la publication de ses œuvres. David Mallet vit ses espérances déçues. Il y eut un peu de scandale, nulle approbation, et je crois qu’alors et depuis ces gros volumes n’ont pas eu beaucoup de lecteurs. Ce n’est pas que ses écrits philosophiques, pour avoir produit peu d’impression sur les esprits, nous paraissent sans mérite.

En les lisant, nous les avons trouvés supérieurs à notre attente ; mais qu’importe après un siècle la philosophie qui n’a point fait école ? car il y a une philosophie dans Bolingbroke ; ce serait lui faire injure que de supposer qu’il n’a su que débiter des objections contre l’authenticité des livres saints et contre la vérité de la doctrine dont ils sont les monumens. C’est bien là le sujet d’une lettre sur les sermons de Tillotson, qui sert d’introduction : l’auteur y soutient que le commencement du monde est un fait, vrai dans tout ce que la tradition en apprend, fabuleux dans tout ce que le récit de Moïse ajoute à la tradition ; mais les quatre essais qui suivent et les nombreux fragmens détachés qui en forment comme un cinquième, composent un traité fort étendu adressé à Pope, et dont la moitié environ appartient à la pure philosophie. L’auteur établit avec assez de force et avec une sincérité visible l’existence d’un Dieu unique, auquel le monde doit la naissance. La Providence divine éclate exclusivement