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de Rousseau, voilà les fondemens de la calomnie qu’il jette, dans ses Confessions, à la tête de sa bienfaitrice ; voilà comment la voix dénigrante des plus petites et des plus basses gens du monde, au lieu de mourir entre l’antichambre et la cuisine, arrive jusqu’à nous à l’aide de Rousseau, qui s’approprie la malice envieuse d’une domestique et s’en inspire pour être ingrat à son aise. Si la chose eût été vraie, c’eut encore été une indignité de la dévoiler : que dire quand elle est fausse, quand la fausseté en est évidente à tous les yeux, quand le commentateur et l’éditeur de Rousseau, qui a suppléé à la réticence indiscrète des Confessions, est forcé lui-même de remarquer qu’il y a lieu de douter ? car enfin, dit-il en note, Mme d’Épinay part avec son fils, et M. d’Épinay lui-même conduit sa femme jusqu’à Genève et l’y installe. Voilà comment Mme d’Épinay essayait de cacher son état. Tout est donc invraisemblable dans le secret que la femme de chambre a révélé au maître d’hôtel, le maître d’hôtel à Thérèse, Thérèse à Rousseau, et Rousseau à la postérité. Le commentateur en convient ; seulement, comme il est décidé à trouver Mme d’Épinay coupable afin de trouver Rousseau innocent, forcé de renoncer à une imputation, il en invente une autre plus affreuse, et n’absout Mme d’Épinay d’une faute que pour l’accuser d’un crime. Quelle manie calomnieuse ! et pourquoi, bon Dieu ? Pour expliquer que Rousseau a eu raison de ne pas accompagner Mme d’Épinay à Genève, comme s’il fallait que Mme d’Épinay fût coupable à la fois et d’une faute et d’un crime pour que Rousseau fût excusé de ne pas la conduire à Genève, comme s’il ne suffisait pas pour justifier Rousseau qu’il fut malade et hors d’état de voyager. Rousseau disant à Mme d’Épinay : « Je suis trop malade pour partir avec vous, » est un ami sensé et raisonnable que personne ne peut accuser, sauf Diderot, qui fait de la rhétorique sur toutes choses ; mais quand Rousseau dit dans ses Confessions : « Je n’ai point voulu accompagner Mme d’Épinay, parce qu’elle avait fait une faute, » et quand le commentateur ajoute : « peut-être un crime, » en vérité, il y a là une fureur de calomnie que je ne comprends pas. « Je ne voulais pas, dit Rousseau, servir de chaperon à Mme d’Épinay. » - Mais quoi ? puisque son mari partait avec elle, puisqu’il la conduisait et l’installait à Genève, que fallait-il de plus ? Rousseau avait-il la prétention d’être pour Mme d’Épinay un meilleur chaperon que son mari même ? Je ne veux pas qu’on me prenne pour le chevalier de la vertu de Mme d’Épinay, et je n’ai pas besoin non plus de prouver que Mme d’Épinay était une Lucrèce, pour prouver qu’elle n’est coupable ni des manœuvres que Rousseau dit qu’elle faisait pour cacher sa faute et où elle voulait l’envelopper, ni de l’horreur que lui prête le commentateur de Rousseau. Mme d’Épinay