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Angleterre, » écrivait Montesquieu dans les notes de son voyage de 1730.

Ce jugement cependant était faux, s’il voulait dire que l’Angleterre allait devenir la proie d’une incrédulité systématique et déclarée. La vivacité avec laquelle se produisaient et s’attaquaient les opinions religieuses était un souvenir des discordes civiles, un vestige des temps de faction. Les sectes étaient encore des partis, et les partis, encore révolutionnaires. Si leurs querelles provoquaient chez les esprits modérés un dégoût, une aversion qui atteignit la foi même, cette indifférence en matière de dogme était une réaction passagère. A l’avènement de la maison de Brunswick, l’Angleterre, sans le bien savoir encore, mit définitivement le pied hors des révolutions. Avec les arrière-pensées d’absolutisme, l’esprit de bigoterie sortit du gouvernement, au moins jusqu’à George III. Il n’y resta sans doute encore que trop d’intolérance; mais cette intolérance était surtout politique, et le prosélytisme ne reparut plus dans le pouvoir. Walpole, qui, grâce à la durée de son administration, exerça une si grande influence sur l’esprit du gouvernement anglais et en forma, pour ainsi dire, la tradition, professait dans les questions qui touchaient l’église une neutralité éclairée. L’expérience du procès de Sacheverell avait beaucoup frappé son esprit. De ce jour, il s’était promis de ne jamais blesser ni caresser aucune passion religieuse; il n’appliquait à aucune chose avec plus grand soin sa maxime favorite : Quieta non movere. Le temps et cette sage conduite calmèrent de plus en plus les esprits, et servirent à décourager du même coup le fanatisme et l’incrédulité. L’un perdant de sa force, l’autre devint sans objet et sans prétexte. Il ne faut jamais oublier que les Anglais ne sont point un peuple de spéculatifs désœuvrés qui, ne répondant de rien, se passent toutes leurs fantaisies d’esprit, qui raisonnent pour occuper leurs loisirs, et discutent par goût pour la logique. Tout est une affaire pour eux ; ils sont un peuple libre et un peuple pratique.

Chez un peuple libre, il est difficile que la religion cesse d’être publiquement respectée. On peut dans les salons aristocratiques, on peut dans les clubs littéraires, se laisser aller aux licences du scepticisme; mais le monde politique ne les comporte pas. Toute religion est à un certain degré une opinion populaire, et là où règne la liberté, toute opinion populaire est respectable ou du moins veut être ménagée. Les nations ne laissent pas diffamer ce qu’elles révèrent, et grande est la faute de certains clergés de n’avoir pas compris quel secours peut apporter à la religion la liberté politique. Ils se sont fait follement d’une protectrice une ennemie.

Pour un peuple pratique, la religion est autre chose encore qu’une idée ou un sentiment; elle est appréciée par ses effets plus que par