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pour quelques-uns de ces peuples, les Slaves notamment, les rapports de race, favorisaient ces offres de service et les faisaient accepter plus volontiers : mais que l’on prenne toutes les insurrections chrétiennes qui se sont produites dans l’empire ottoman depuis un siècle, on n’en citera pas une seule où ait percé la moindre idée d’une annexion politique ou religieuse à la Russie. Est-ce au moment où l’idée de race acquiert un si grand prestige parmi les populations de la communion orientale, et que celles-ci paraissent avant tout préoccupées du besoin de se replier sur elles-mêmes pour y puiser une vie nouvelle, est-ce en un pareil moment qu’elles songeraient à contracter des liens plus étroits avec une nation dans le sein de laquelle elles se verraient bientôt absorbées ?

Il ne faut point à cet égard que le mot de panslavisme fasse illusion. Ce mot présente plusieurs significations très distinctes, suivant le terrain où il est prononcé. En Russie, il renferme à la vérité une gigantesque pensée de conquête. Dans une partie de l’émigration polonaise, c’est la confédération démocratique des divers peuples slaves opposée au panslavisme unitaire et gouvernemental des Russes. Chez les Slaves d’Autriche et de Turquie, c’est un cri de désespoir que l’on ne pousse qu’avec effroi et douleur. Quand les Tchèques ou les Croates voient ou croient voir que le germanisme menace leurs libellés provinciales ou leurs idiomes, quand les Bulgaro-Serbes peuvent supposer que l’islamisme néglige leurs griefs, c’est alors qu’ils laissent échapper ce cri de panslavisme comme une dernière et lamentable ressource ; mais à peine l’écho le leur a-t-il renvoyé, qu’ils en sont eux-mêmes effrayés et tremblent devant les conséquences d’un instant d’égarement, comme le bûcheron de la fable devant la mort qu’il a invoquée. Nulle part, en effet, le sentiment de l’individualité des races n’est plus sincère et plus fort que chez les Slaves du Danube, et à moins que, par un excessif oubli de leurs intérêts, on ne se plaise à les pousser à bout, il n’est pas à craindre que le panslavisme les séduise. L’idée de l’individualité des races est, chez les Bulgaro-Serbes aussi bien que chez les Hellènes, les Moldo-Valaques et les Arméniens, la sauvegarde de l’individualité des églises.

Ici toutefois une objection s’élève. Le morcellement qui doit résulter de cette tendance de chaque race à nationaliser son église ne pourrait-il pas devenir funeste en favorisant l’action même de l’influence étrangère que l’on redoute ? Et le patriarcat de Constantinople, en conservant sous son administration immédiate les églises qui cherchent à se séparer de lui, ne présenterait-il pas à cette influence une barrière plus solide que ne pourraient le faire toutes ces