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remplissait admirablement les conditions du patriarcat rêvé par les Serbes. La révolution monténégrine de 1852 a rendu cette combinaison impossible. L’évêque du Tsernogore n’est plus et ne peut plus être qu’un personnage secondaire, dépourvu de l’autorité morale suffisante pour répondre à l’ambition des Slaves de Turquie. Il ne reste plus qu’une ressource : c’est d’en revenir à l’idée d’un patriarcat de Serbie, et c’est aussi de ce côté que la force des choses a ramené les imaginations.

On conçoit que, portées ainsi à se soustraire à l’unité qui vient de Constantinople, les diverses églises de la communion orientale aient toujours eu peu de penchant pour celle qui leur était proposée de Rome. Toutes les fois que quelque tentative a été faite pour les y ramener, elle a été repoussée avec passion, et le catholicisme ne saurait donner signe d’existence en Orient sans que les alarmes s’éveillent. On en a vu un exemple lorsqu’au commencement de son pontificat le pape Pie IX crut devoir faire, sous forme d’encyclique, un appel aux chrétiens grecs. Cette démarche provoqua dans le clergé oriental, et surtout de la part des patriarches de Constantinople, d’Antioche et de Jérusalem, les plus vifs reproches, et les écrivains ecclésiastiques rivalisèrent de zèle dans la critique des doctrines émises par le saint père en faveur du principe de l’unité romaine. Cette défiance invétérée est tellement prompte à renaître, que dans la question des lieux-saints, où cependant le catholicisme ne revendiquait que d’anciennes possessions envahies peu à peu par les Grecs, ceux-ci ont témoigné les mêmes alarmes que si l’on avait pris contre eux l’offensive, et si l’on avait voulu empiéter sur leurs droits. Dans ces deux circonstances, à la vérité, les Grecs n’étaient pas abandonnés à leurs seules impressions. Une grande influence étrangère, qui tient à se montrer plus jalouse qu’eux-mêmes de leurs avantages, les encourageait à la résistance, et prenait la parole en leur nom. Si dans le premier cas l’on avait vu les écrivains russes se joindre au clergé grec pour réfuter l’encyclique du pape, dans le second le gouvernement russe lui-même est intervenu pour réclamer en faveur des Grecs beaucoup plus qu’ils ne songeaient à demander et qu’ils n’avaient besoin d’obtenir.

Comment la pensée qui se laisse apercevoir sous cette offre de concours est-elle appréciée par les chrétiens d’Orient ? Ces peuples n’auraient-ils brisé tout lien avec Rome et ne chercheraient-ils à s’isoler de Constantinople même que dans l’intention de se rapprocher de Saint-Pétersbourg ? S’il pouvait s’élever des doutes sur le véritable sens de cette tendance des églises de Turquie à l’isolement, la situation présente du patriarcat arménien d’Etchmiadzin aiderait à en apprécier la véritable portée. Etchmiadzin, ville de l’Arménie