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avec les légendes chrétiennes. Il ne serait pas cependant difficile de retrouver dans les coutumes religieuses des Grecs des pratiques qui relèvent incontestablement du paganisme. Tel est l’usage de faire danser à certaines époques les images des saints comme des dieux familiers au son de la flûte et des timbales ; telle est encore l’habitude d’avoir aux enterremens des pleureuses de profession, la tête échevelée, poussant d’affreux gémissemens, faisant mine de se déchirer le visage. Généralement aussi les fontaines sont dédiées aux saints comme autrefois aux nymphes. Enfin il reste dans les mœurs des Grecs chrétiens des traces de l’ancienne institution des sacrifices. Lorsque l’on jette les fondations d’une maison, l’on célèbre d’ordinaire une cérémonie religieuse destinée à appeler les bénédictions du ciel sur les travaux qui vont commencer. Il n’est pas rare que cette cérémonie soit suivie de l’immolation d’un mouton ou d’un coq dont on verse le sang sous la première pierre.

En Arménie, l’imagination populaire a subi des influences également issues du génie même de la nationalité, mais distinctes de celles qui ont agi sur les chrétiens de la Turquie d’Europe. Relégués au milieu des nations asiatiques, les Arméniens n’ont connu que passagèrement le paganisme gréco-romain. En revanche, ils se ressentent du contact de leur civilisation primitive avec les religions de l’Asie, avec les croyances de la Perse et le judaïsme. De là par exemple les superstitions relatives aux animaux dont la chair passait en Orient pour impure, et à cet égard les Arméniens se souviennent encore de l’énumération que le législateur hébraïque en a donnée dans les versets du Lévitique. On sait que ce peuple envisage comme un des faits essentiels de son histoire l’assertion de la Genèse, d’après laquelle l’arche se serait arrêtée sur la chaîne de l’Ararat. Tout en se rattachant ainsi avec orgueil aux secondes origines du genre humain, les Arméniens veulent aussi avoir été associés aux premiers commencemens du christianisme : ils regardent comme ayant appartenu à leur pays l’un des trois mages qui furent conduits par l’étoile miraculeuse à la crèche de Bethléem. Les Arméniens en effet ont embrassé avec le mélange de naturalisme et de mysticisme qui leur est propre les doctrines de l’Evangile. Aussi ne doit-on pas s’étonner de la familiarité étrange avec laquelle leur imagination, tout en se lançant à perte de vue dans le merveilleux, a traité par instans les sujets les plus sacrés. C’est dans cet ordre de créations que rentre le récit apocryphe de la vie de Jésus connu sous le titre de Petit Evangile. Bien que les légendes qui se rapportent à la conversion des Arméniens et à leur apôtre saint Grégoire l’Illuminateur soient beaucoup plus véritablement chrétiennes, elles sont empreintes du même esprit de familiarité, dont le mysticisme s’accommode d’ailleurs dans