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pour la dialectique, délaisser instinctivement la théologie. On eût dit que la métaphysique religieuse était épuisée ; chez ces peuples, et qu’ils craignaient de se rendre compte de leur croyance. Dans toute son histoire ecclésiastique, la Russie, parmi un grand nombre d’écrivains religieux, possède à peine quelques théologiens. L’église orientale semble avoir pour principe que les discussions théologiques sont inutiles et vaines, et que le texte des Écritures saintes suffit à la foi. Pendant que l’église romaine, voulant donner à ses dogmes la plénitude de la force par des définitions catégoriques et raisonnées, appelait à son aide toutes les puissances intellectuelles du génie latin à la fois métaphysique et pratique, l’église orientale, dominée par l’indifférence traditionnelle des Gréco-Slaves pour la théologie, s’est donc bornée à prendre ses croyances telles qu’elle les trouvait dans l’Évangile, sans vouloir les préciser ni les commenter. Telle est la raison philosophique et dogmatique du schisme, et elle a sa source dans la nationalité même.


II. — LES CROYANCES POPULAIRES.

Si la tendance propre à chacune des races de l’empire ottoman a pu agir sur le dogme des diverses églises au point de donner son empreinte aux principes mêmes de la croyance, on conçoit combien les traditions historiques ont du influer de leur côté sur la manière dont les populations entendent et pratiquent le christianisme. Avant de recevoir l’Évangile, chacun des peuples de l’empire turc, et notamment les Grecs, les Slaves, les Valaques, les Arméniens, ont traversé des civilisations distinctes, et les souvenirs qui appartiennent à ces époques évanouies, mais non encore oubliées, ont d’autant plus de puissance, que sous l’empire d’une vie monotone et simple, presque toujours la même depuis des siècles, rarement de grands événemens sont venus frapper leurs imaginations. En l’absence d’un mouvement littéraire qui ne fait que commencer chez quelques-uns, et qui tardera peut-être longtemps encore chez les autres à se produire, la tradition orale est souveraine ; l’image du passé, qui a été d’ailleurs pour la plupart une ère de gloire ou du moins d’indépendance, apparaît toujours rayonnante dans le lointain des temps. On doit donc retrouver chez chaque peuple chrétien de la Turquie un mélange partout sensible des croyances primitives avec les croyances religieuses modernes.

Parmi ces peuples, il en est un dans les conceptions duquel ce mélange du profane avec le sacré présente un caractère particulier