Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/853

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

destinées mystérieuses, fondée sur les dernières paroles de l’évangéliste lui-même, est très répandue chez les Polonais, et fait le sujet de l’une des plus intéressantes productions de la poésie contemporaine : la vision de la Nuit de Noël, du poète anonyme de la Pologne[1]. Dans cette nuit mystique, où le christianisme de l’Occident expire, où la basilique de Saint-Pierre s’écroule, ensevelissant sous ses débris les vieux chrétiens et la vieille papauté, et où le Christ renaît pour ne plus mourir, c’est l’apôtre Jean qui prononce l’Ite missa est de la dernière messe ; c’est lui qui inaugure les temps nouveaux. Les ruines de l’ancien monde chrétien deviennent pour lui un trône éclatant, d’où il contemple le monde régénéré sous l’empire d’une morale plus pure et de la fraternité pratique. Cette idée sur la mission ultérieure de saint Jean se rattache, chez les Latins d’Orient, à la préférence qu’ils n’ont cessé de donner à la morale sur le dogme, tout en respectant profondément le dogme romain. Les influences traditionnelles et locales, moins puissantes sur eux que sur les chrétiens de la communion orientale, leur ont cependant imprimé ce trait particulier et distinctif au sein de la grande unité catholique.

En somme, à n’envisager que l’église grecque, on pourrait presque dire que la nationalité, si puissante dans les questions liturgiques, a elle-même formé le dogme de cette église. Qui n’a remarqué dans l’histoire de l’Orient en général, et dans celle des Gréco-Slaves en particulier, un penchant populaire au naturalisme ? C’est une tradition nationale des Hellènes, ces apôtres séduisans du paganisme, qui, tout en dressant un autel au Dieu inconnu, n’avaient réellement adoré jamais que des dieux visibles. Dans leurs primitives croyances les Slaves, toute proportion gardée, se présentent sous un jour analogue. Leur mythologie, infiniment moins ornée, moins riche et moins savante que celle des Grecs, se résume, comme la mythologie grecque, dans le culte des forces connues ou inconnues de la nature. La théologie des uns comme celle des autres est dans leurs poètes. Il n’y a point d’exception à faire pour les Arméniens, les Syriaques, les Chaldéens, qui ont pourtant subi l’influence du mysticisme si cher à l’Asie. Aussi le christianisme n’a-t-il trouvé de théologiens véritables parmi les Grecs et les Slaves qu’aux premiers siècles de l’église, quand la doctrine avait besoin d’être exposée pour se répandre, et que de hardis hérésiarques s’élevaient de toutes parts pour ébranler les fondemens de la foi. Après cette époque de lutte qui enfanta le grand mouvement théologique du IVe et du Ve siècle, on vit bientôt les Grecs eux-mêmes, malgré leur goût bien connu

  1. Voyez la Nuit de Noël dans la Revue du 1er août 1846.