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Après la Fronde, qui n’a eu qu’un petit nombre de représentations, on a donné tout récemment à l’Opéra le Maître-Chanteur, de M. Limmander, ouvrage qui, pour être en deux actes, n’en ira ni mieux ni plus longtemps. M. Limnander est un compositeur belge qui s’est fait connaître par deux opéras-comiques, les Monténégrins et le Château de la Barbe-bleue. C’est un musicien instruit et parfois ému, qui vise volontiers au style, mais non pas sans effort. Ses idées manquent d’originalité, son instrumentation dépasse souvent le but et va jusqu’au mélodrame. Le Maître-Chanteur, dont le sujet est emprunté à l’histoire poétique de l’Allemagne du XVe siècle, ne vaut pas une analyse. Cet opéra renferme plusieurs morceaux estimables qui font honneur à M. Limnander, mais qui ne peuvent sauver un ouvrage où la vie et l’originalité brillent par leur absence.

À côté des opéras récemment représentés sur notre première scène lyrique viennent se placer des compositions plus légères, dont il faut bien dire un mot, si l’on veut suivie la musique moderne dans toutes ses manifestations. Un nouveau ballet sous le titre de Jovita vient d’être représenté pour les débuts de Mme Camille Rosati. La donnée n’en est pas très neuve, et M. Mazilier ne s’est point épuisé en frais d’imagination pour la conception de ce scénario, dont le sujet ramène des situations traitées cent fois par M. Scribe dans son théâtre d’opéra-comique. Les incidens de Jovita sont loin de relever la simplicité du canevas, et font l’intérêt du nouveau ballet consiste dans l’apparition de Mme Rosati. Depuis qu’on ne chante plus en Italie, on y danse du moins, car les Bigottini, les Taglioni, les Ceritto, les Carlotta Grisi viennent toutes du pays qui produisait autrefois de grands compositeurs et des virtuoses incomparables. Mme Rosati, qui est de Bologne, s’est déjà présentée devant le public parisien dans une représentation de la Tempesta de M. Halévy au Théâtre-Italien. Un fâcheux accident survenu à Mme Rosati l’empêcha de continuer, et suspendit le cours de ses succès. Ce n’est point un talent bien original ni très correct que celui de Mme Rosati, mais elle a de la verve, une physionomie intéressante, expressive, où se peignent sans efforts les plus vives émotions de l’âme. C’est comme mime surtout que Mme Rosati a captivé les suffrages du public de l’Opéra, qui lui a fait l’autre soir un accueil de bon augure. La musique de Jovita facile, agréable et soigneusement écrite, est de M. Théodore Labarre, compositeur de mérite, qui a vécu plus d’une semaine dans la sympathie populaire, et dont tout le monde connaît les belles romances et le petit chef-d’œuvre : Jeune fille aux yeux noirs. M. Labarre n’a eu qu’un tort dans sa vie d’artiste, c’est de ne pas croire suffisamment à l’avenir de son talent.

Nous avons aussi, avant de quitter l’Opéra, à signaler la retraite d’un artiste dont le nom doit être sauvé de l’oubli, parce qu’il se rattache à une grande révolution musicale. M. Levasseur vient de faire ses adieux au public. Fils d’un laboureur de Picardie, l’artiste qui devait tenir si longtemps à l’Opéra le premier emploi de basse entra au Conservatoire en 1809 et fut admis, quelques années après, dans la classe de Carat. Il débuta à l’Opéra dans la Caravane de Grétry en 1813, et s’y fit remarquer par sa belle voix. Après un voyage fait à Londres en 1814, où il s’essaya dans l’opéra italien ; un autre voyage fait à Milan en 1821, où il rencontra Meyerbeer, qui