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Son être est immuable, et cette force aisée
Dont elle produit tout ne s’est point épuisée.

C’est ainsi que parlait déjà Charles Perrault au XVIIe siècle, où la question que nous agitons avait été posée en pleine Académie française, entre les admirateurs exclusifs de l’antiquité et les défenseurs non moins passionnés des temps modernes. À vrai dire, la question est plus facile à poser qu’à résoudre, et sans nier que l’humanité ne soit éternelle comme la nature, et ne renaisse incessamment de ses propres cendres comme l’oiseau fabuleux, il n’est pas moins évident qu’il y a des civilisations et des formes de l’esprit humain qui s’épuisent et finissent par disparaître tout à fait. Sans doute que l’inspiration ne périt pas, mais elle se déplace, et va produire ailleurs des fruits nouveaux et différens. Au lieu de se manifester sous la forme d’un poème épique, d’un tableau de Raphaël ou d’une symphonie de Beethoven, elle ira illuminer le front d’un Buffon ou d’un Herschel, car, comme l’a très bien dit d’Alembert, l’imagination joue dans les sciences exactes et d’observation un plus grand rôle qu’on ne croit. Quel beau sujet d’étude ce serait que de préciser la part qui revient à l’intuition dans l’histoire des sciences positives !

La musique pourtant n’a point à se plaindre du siècle où nous vivons. Les cinquante années qui viennent de s’écouler ont été aussi fécondes en grands compositeurs qu’en poètes illustres et en penseurs vigoureux. L’Allemagne a produit Beethoven, Weber, Mendelssohn, Schubert, Spohr ; l’Italie a vu naître Rossini, Bellini et Donizetti, et la France s’est enrichie successivement de Berton, Méhul, Lesueur, Nicolo, Boïeldieu, Hérold, Auber, Cherubini, Spontini et Meyerbeer. De Grétry à M. Auber comme de Gluck à M. Meyerbeer, on ne peut nier que la musique dramatique n’ait fait un pas énorme sous le rapport du coloris et du développement des situations. Si l’idée mélodique s’est amoindrie, si aucun compositeur moderne n’a pu atteindre à la sérénité suprême de Mozart, à l’accent pathétique et religieux de Gluck, à la vérité touchante et fine de Grétry, il est juste de convenir aussi que le final de la Vestale, celui du troisième acte de Moïse et le quatrième acte des Huguenots sont des conceptions grandioses, des peintures puissantes, tout à fait propres à notre temps. On peut affirmer que sans la révolution française, de pareils chefs-d’œuvre n’existeraient pas. Oui, cette ère de rénovation sociale a été aussi pour la musique une source, de grandes et magnifiques inspirations. Par malheur, ce mouvement d’initiation parait entièrement épuisé depuis quelques années, et, à la place des génies créateurs que nous venons de nommer et qui forment la génération héroïque de notre siècle, on a vu paraître en Italie Ricci et Verdi, en Allemagne Schumann, Gade, Wagner et Flolow, en France MM. Ambroise Thomas, Reber, Niedermeyer, Gounod, Félicien David et Masset. Entre les mains de ces musiciens plus ingénieux qu’inspirés, l’art a subi une fâcheuse altération. Pour ne parler que de la France, qui est encore le pays le mieux partagé, aucun homme important ne s’est emparé de l’attention générale et n’y a imprimé le sceau de sa personnalité.

Sans méconnaître le mérite et la distinction de M. Halévy, la vivacité de main et la bonne humeur de M. Adam, le soin que met M. Ambroise Thomas