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par la mode du jour, par l’histoire des tables qui tournent, et qui ne tournèrent jamais mieux, à coup sûr, que la cervelle d’où sortit l’idée phalanstérienne. C’est ainsi que s’enrichit la légende des miracles contemporains.

Quel signe, comme nous le disions, peindrait mieux une époque où on se lasse de tout ce qui est régulier et sain ? Quel trait pourrait mieux caractériser un siècle qui a voulu vivre de tous les développemens de la raison positive et des intérêts matériels, de chemins de fer, d’industrie, de commerce, de jeux de bourse, et qui vient se heurter parfois aux crédulités les plus puériles et les plus grossières, qui a tout à la fois la fièvre des spéculations et la fièvre des mysticismes oiseux ? Après tout, est-ce donc une alliance si nouvelle ? et cela ne s’accorde-t-il pas naturellement au contraire ? Dans ce temps que nous rappelions, dans le XVIIIe siècle, n’a-t-on pas vu tout ensemble ou à peu de distance les miracles du cimetière Saint-Médard et les folies du système, de ce système dont M. A. Cochut raconte l’histoire avec un si singulier à-propos dans un essai sur Law et son époque ? Les combinaisons financières de Law, ses expédiens, son génie réel, sa grandeur et sa décadence, l’ardeur fiévreuse de spéculation et de jeu soulevées dans toutes les classe par cette bizarre aventure d’un homme audacieux, — tout cela l’auteur le décrit d’un trait exact et piquant, qui pourrait à coup sûr plus d’une fois s’appliquer à notre temps. Ce n’est point une froide étude financière, c’est une esquisse morale et politique. Quand on a étudié dans les détails de sa vie la plus intime ce monde du XVIIIe siècle, quand on a vu ce mélange de tous les vices et de toutes les dépravations, cet oubli de soi-même dans les hautes sphères, cette émulation dans la corruption morale, ce déclassement universel des rangs, qui n’est jamais plus sensible que dans l’épisode de Law, par le renversement subit et l’élévation scandaleuse des fortunes, n’aperçoit-on pas le travail de décomposition qui s’opère déjà ? C’est un côté du XVIIIe siècle sur lequel les Nouvelles Lettres de la duchesse d’Orléans, récemment publiées, jettent un jour singulier. Par elle-même, la mère du régent, la princesse palatine, est certainement un des caractères les plus originaux : rude femme, d’une nature droite et simple, sorte de bourgeoise dans une atmosphère de cour, n’entendant rien à la corruption raffinée qui l’environne et la peignant crûment, froide par penchant et ayant avec cela des retours pleins d’une tendresse presque charmante vers l’Allemagne, sa pairie natale. La duchesse d’Orléans parle, elle aussi, de Law, non certes pour l’expliquer, mais pour montrer les femmes du plus haut rang acharnées après le hardi financier. Dans les lettres de la princesse palatine et dans l’ingénieux essai de M. Cochut sur Law, comme on voit bien une société destinée à périr et courant follement aux catastrophes ! Cette société brillante et dépravée du XVIIIe siècle n’a eu qu’un bonheur, celui de trouver à la fin de féroces sectaires qui l’ont relevée par le martyre. Mise en présence de la proscription et de l’échafaud, elle a retrouvé quelques gouttes de son vieux sang pour les jeter noblement à la face de ses persécuteurs, et elle a su mourir avec honneur.

Mais enfin cela suffit-il pour une société de savoir bien mourir ? Son premier devoir n’est-il point au contraire ; d’apprendre à vivre ? Certainement il est moins aisé de faire ce rude apprentissage que de se laisser aller follement et négligemment sur la pente des décadences. Cela est vrai surtout dans des