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les événemens marchaient d’eux-mêmes et se développaient sur leur théâtre naturel.

Ce n’est plus seulement une opération partielle et restreinte exécutée par les Russes sous le feu des canons d’Isactcha. Une portion de l’armée d’Omer-Pacha a franchi le. Danube entre Oltenitza et Turtukaï. Les Turcs se sont heurtés contre un corps d’année russe, et sont restés maîtres de la position d’Oltenitza après vingt-huit heures d’un combat sanglant, où les officiers russes semblent avoir particulièrement souffert. Par suite de ce combat, l’armée ottomane se trouverait campée dans la Valachie, à peu de distance de Bucharest, et Omer-Pacha aurait, dit-on, signifié au prince Gortchakoff un ultimatum qui consisterait dans la remise immédiate aux Turcs des forteresses des principautés, et dans l’évacuation la plus prompte possible des provinces moldo-valaques par les Russes ; en d’autres termes, c’est la continuation de la guerre que propose le chef des forces ottomanes campé aujourd’hui sur la rive gauche du Danube. Il en est de même en Asie, où l’armée turque n’est point sans avoir obtenu, à ce qu’il semble, quelques avantages ; elle est entrée en campagne par un combat heureux. Ainsi, partout où la lutte pouvait être engagée, elle existe ; la guerre n’est plus simplement une éventualité, elle est un fait entre la Turquie et la Russie. Les gouvernemens européens n’ont plus à devancer les événemens, ils ne peuvent que les suivre en profitant des circonstances favorables pour renouer des négociations si malheureusement infructueuses jusqu’ici ; il est seulement à craindre qu’ils n’aient à concilier des choses bien inconciliable, par cette simple raison que si la Russie réussit encore à vaincre les Turcs et persiste dans ses prétentions, c’est l’intérêt européen qui aura à lui faire face ; et si ce sont les Turcs qui sont victorieux, ce sera l’orgueil froissé de la Russie qui se refusera à une transaction sous le coup d’une défaite. Quelle que soit cependant l’issue de ce conflit, il est un certain nombre de faits à constater, qui sont comme la moralité de la crise actuelle, et qui restent acquis à l’histoire contemporaine. En premier lieu, là où on ne soupçonnait que la décrépitude et la mort, on aura vu se développer des signes singuliers de vitalité et d’énergie ; on aura vu un pays affaissé sur lui-même, comme la Turquie, se relever et retrouver quelque crédit par sa fermeté et sa modération. D’un autre côté, là où on pensait trouver un juste et intelligent esprit de conciliation, on aura rencontré une politique inflexible, soit qu’elle agisse de bonne foi, soit qu’après s’être engagée dans une situation fausse et inextricable, elle ne puisse consentir à revenir sur ses pas. Quant aux gouvernemens européens, dans l’impuissance même de leurs efforts, ils auront donné à coup sûr des témoignages assez manifestes de leur amour de la paix, comme aussi ils auront pu apprendre à quel prix et dans quelles conditions ils pouvaient sauvegarder les bases les plus essentielles de la sécurité occidentale.

Il n’est point certes indifférent de continuer à faire en quelque sorte la part de chacun dans cette crise délicate et redoutable ; de marquer le vrai caractère de les événemens qui commencent, et qui peuvent devenir le point de départ d’événemens plus graves encore. Que l’empereur Nicolas tienne à ne point abaisser la fierté de son pouvoir, qu’il ne veuille point humilier sa politique, rien n’est plus naturel ; mais cela ne saurait aller jusqu’à changer les