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réduisit à une adresse présentée au roi par l’église de ce diocèse pour se plaindre de la corruption des temps manifestée et propagée par la publication de coupables et dangereux écrits.


XXIV.

Nous imiterons la justice de Londres, qui ne donna pas suite à l’examen des ouvrages philosophiques de Bolingbroke; nous n’en essaierons pas une critique approfondie : bornons-nous à en faire connaître l’origine et l’esprit. Ces écrits, peu lus aujourd’hui et qui n’ont eu jamais un fort grand succès, sont peut-être les derniers ouvrages composés sérieusement, exécutés avec talent, que jusqu’à nos jours la liberté de penser, ou, pour mieux parler, l’incrédulité en matière de révélation ait ouvertement produits en Angleterre. Gibbon est un historien; Hume enveloppe sa pensée et n’atteint le christianisme que par les conséquences de son scepticisme métaphysique. Bolingbroke est dans les opinions de Voltaire, aussi hardiment, plus gravement que lui, et Voltaire, qui s’est couvert sans cesse de son autorité, souvent aidé de ses idées, aime à le représenter comme le chef d’une grande école, et presque comme un type de l’esprit britannique. Il n’a pas tenu à lui et aux écrivains ses contemporains qu’on ne crût la société anglaise gouvernée par les opinions qu’il voulait transmettre à la France. Cette société proteste cependant, et ne veut pas nous avoir donné l’exemple; elle ne parle qu’avec aversion de ce qu’on appelle la philosophie du XVIIIe siècle. Elle est religieuse, elle se dit chrétienne; et quand il s’agit de foi, à moins de soupçonner tout un peuple d’imposture, il est ce qu’il croit être.

Voltaire cependant ne feignait pas son admiration pour la libre pensée du peuple breton. De son temps et à son exemple, on représentait, jusque dans les ouvrages d’imagination, un Anglais comme un homme indépendant, hardi dans son langage, supérieur aux préjugés, au nombre desquels on classait sans hésiter la foi chrétienne. Faut-il admettre que l’Angleterre ait tout à fait changé, ou rechercher si des époques et des parties diverses d’une même société ont pu légitimement donner lieu à des jugemens contradictoires sur ses sentimens et ses croyances?

Rappelons-nous que l’Angleterre, au temps de Bolingbroke, sortait d’une révolution, et d’une révolution où la religion avait joué un grand rôle. Or la religion dans l’homme ou plutôt le sentiment religieux, malgré la sublimité de son origine, est sujet à s’altérer, à se dénaturer, autant qu’aucune de nos dispositions primitives. Comme tout ne s’y réduit pas à une idée dogmatique, la religion quitte le domaine de la raison pure ou de la pure spiritualité pour