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tillon du degré d’effronterie qu’un coquin peut porter dans l’exercice de son méfier ; c’est un billet entre plusieurs du même genre que Beaumarchais reçoit en 1790.


« Monsieur,

« Je viens d’acheter un manuscrit qui a pour titre : Confessions de M. de Beaumarchais. Cette brochure pourra contenir à peu près cinq feuilles in-8o. Je suis prêt à la faire imprimer ; mais j’aurais à me reprocher de rendre ce pamphlet public : il ne tend qu’à vous attirer un grand nombre d’ennemis. Je l’ai acheté six louis ; plusieurs personnes m’en ont offert six de bénéfice, et si je le faisais imprimer, je ne sais la quantité d’argent que cela me rapporterait. Ainsi, monsieur, voyez si vous voulez vous en arranger avec moi. Faites-m’en l’offre que vous désirez ; et vous pouvez compter sur mon zèle et ma discrétion.

« Comme je suis en marché pour le faire imprimer, je vous prie de me faire réponse pour mardi soir. S’adresser par lettre à M. Bunel chez Mlle  Bondidier, marchande lingère, rue Comtesse d’Artois. »


Voici la réponse de Beaumarchais ; elle est courte, mais expressive :


« Je ne donnerais pas six liards pour empêcher une infamie contre moi de voir le jour, mais je donnerai volontiers six louis à celui qui m’apportera les oreilles du coquin qui l’a composée et six autres louis pour celles du gredin qui va l’imprimer. Et comme toute peine mérite salaire, je viens de déposer la lettre du sieur Bunel, afin qu’il le reçoive de la justice nationale lorsque son libelle paraîtra.

« Beaumarchais. »


Plus loin, c’est un très habile homme, M. Simonnet, qui s’est livré à de savans calculs sur les chances de la loterie, et qui poursuit Beaumarchais de plans merveilleux pour lesquels il demande des fonds. L’auteur du Mariage de Figaro prend très bénévolement la peine de lui redresser l’esprit, ou de lui prouver au moins qu’il n’est pas sa dupe :


« J’ai passé ma vie, monsieur, lui écrit-il, à gagner à la loterie tout l’argent que je n’y ai pas mis, et je m’en félicite chaque jour. En jetant un coup d’œil critique et sévère sur ces affreux établissemens des loteries, pépinières assurées de tous les maux du peuple, qui ne servent qu’à remplir les prisons et les hôpitaux, j’ai trouvé que la loterie que l’on nomme si indécemment royale, et qu’on devrait nommer infernale, se combine de manière que la façon la moins funeste d’y ponter est certainement par extrait ; mais que dans ce pontage même, si l’on mettait à chaque tirage 20 sous sur chaque numéro, l’on aurait dépensé 90 livres. On gagnerait toujours les cinq extraits ou cinq fois quinze mises, produit de leur bénéfice, c’est-à-dire 75 fr., d’où il résulte que la moindre perte que l’on puisse faire à cet infâme biribi est de 15 sur 90 dans l’hypothèse même la plus favorable. Je vous plaindrais, monsieur, d’avoir la manie de ce jeu, si vous aviez des fonds à y mettre ;