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Cette lettre jure un peu avec la cérémonie du mariage des prêtres de Brahma dans le couronnement de Tarare ; mais ces discordances sont assez dans la nature humaine, elles sont surtout dans le caractère de Beaumarchais et de son temps. Ce n’était plus ici le philosophe ou l’auteur dramatique, c’était le mari, le frère et surtout le père qui parlait. L’auteur du Mariage de Figaro adorait sa fille unique ; il venait de la retirer du couvent, et s’il n’allait pas beaucoup à la messe, il n’était pas fâché qu’elle y allât pour lui. Cette bonne physionomie de père, si simple, si caressante, si joviale, qui fait aimer Beaumarchais, apparaît surtout dans une vieille ronde gauloise de sa façon, par laquelle il célèbre le retour de sa fille Eugénie sous le toit paternel. Cette ronde a déjà été signalée comme un morceau charmant par un excellent juge[1]. C’est en effet peut-être la plus heureuse inspiration poétique de Beaumarchais. Le tour naïf des vieux chants populaires s’y retrouve avec un mélange gracieux d’aménité, de finesse et de gaieté. Pour rendre cela évident, il faudrait peut-être citer tous les couplets, attendu qu’ils se renforcent l’un par l’autre ; mais, comme il y en a dix-huit et comme Gudin en a déjà publié quinze, nous n’en citerons que quelques-uns. Nous rétablissons toutefois dans son intégrité le titre de cette ronde que Gudin a mutilé on ne sait pourquoi ; il est ainsi conçu :

Vieille ronde gauloise et civique chantée pour la rentrée d’Eugénie Beaumarchais de son couvent dans la maison paternelle, dédiée à sa mère et brochée par Pierre Augustin, son père, le premier poète de Paris — en entrant par la porte Saint-Antoine.


SUR L’AIR :
Oh ! oh ! s’fit-il, c’est la raison
Que je sois maître en ma maison.


Hier, Augustin Pierre,
Parcourant son jardin,
Regardant sa chaumière,
Disait d’un air chagrin :
Je le veux, car c’est la raison
Que je sois maître en ma maison.

Quelle sotte manie,
Du bonheur me privant,
Retient mon Eugénie
Dans un fatal couvent !
Je veux l’avoir : c’est la raison
Que j’en sois maître en ma maison.

Elle use sa jeunesse
À chanter du latin,
Tandis que la vieillesse
Me pousse vers ma fin.

  1. M. Saint-Marc Girardin dans sa notice sur Beaumarchais.