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manuscrits lui avaient été remis, revus, corrigés, préparés pour l’imprimerie. Il regardait comme un devoir de les publier tels qu’il les avait reçus. Il aurait pu ajouter que le recueil contiendrait de bien autres hardiesses, bien autrement méditées, dans de longs ouvrages encore inconnus de lord Hyde et de ses amis. Mallet d’ailleurs, éditeur enthousiaste, comptait pour sa publication sur un succès qui ferait sa fortune. Telle était sa confiance, qu’il refusa 3,000 livres sterling que lui en offrait un libraire, et il lui fallut attendre plus de vingt ans pour rentrer dans ses frais par la vente des cinq volumes d’œuvres complètes qu’il fit paraître en 1754. Dans ce recueil, on ne trouve encore aucune correspondance diplomatique ou familière, mais tous les ouvrages que nous avons cités et les essais inédits destinés à Pope. Cette dernière partie est considérable et contient le fond de la philosophie de Bolingbroke. Cette publication, attendue avec un mélange de curiosité et d’inquiétude, n’augmenta point la réputation de l’auteur, car cette réputation, en tout temps égale au moins à son mérite, devait quelque chose à une sorte de mystère. Il y eut seulement un peu de scandale, ce qui tempéra l’admiration convenue que le public portait à des talens dont il n’avait pas la mesure. « C’était un coquin et un poltron, dit brutalement Johnson : un coquin pour avoir chargé une espingole contre la religion et la morale; un poltron, car il n’a pas eu le courage de faire feu lui-même, et il a laissé une demi-couronne à un mendiant d’Ecossais pour lâcher la détente après sa mort. » La société anglaise offre dans ses jugemens des disparates que nul n’a su peindre comme Horace Walpole. Voici ce qu’il écrit à ses amis : « 6 mars 1754. — Lord Bolingbroke a paru en cinq pompeux in-quarto, deux et demi sont nouveaux et les moins orthodoxes. Warburton est résolu à répondre, et les évêques à ne lui pas répondre... 1er décembre. Il est comique de voir comme Bolingbroke est abandonné ici, depuis que les meilleurs de ses écrits, sa théologie métaphysique, ont été publiés. Du temps qu’il trahissait et outrageait tout homme qui s’était fié à lui, ou qui lui avait pardonné, ou qui l’avait obligé, il était un héros, un patriote, un philosophe et le plus grand génie du siècle. Du moment que ses Crafismen contre Moïse et saint Paul ont été publiés, nous avons découvert que c’était le plus méchant homme et le plus méchant écrivain du monde. Le grand jury a présenté ses ouvrages (pour l’accusation), et aussi longtemps qu’il y aura des gens d’église, il sera rangé parmi les Tindal et les Toland. Et même je ne sais si mon père ne pourrait pas devenir un martyr en titre pour avoir été persécuté par lui. » La proposition du grand jury de Westminster fut sans résultat, bien que Herring, archevêque de Canterbury, eût annoncé des poursuites contre l’éditeur et l’imprimeur. Tout se