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« Je ne vois pas d’inconvénient à permettre et à préparer la représentation de ce couronnement, sauf deux vers que M. de Beaumarchais m’a promis de changer et d’adoucir.

Bailly.
« Ce 28 juin 1790. »


On ne se douterait guère quels sont ces deux vers qui paraissent trop forts au maire de Paris. Si j’en crois une note de Gudin écrite en tête du manuscrit de ce couronnement, ce sont les deux vers suivans de l’ancien opéra qui servaient de transition à l’acte supplémentaire ajouté par Beaumarchais :

Nous avons le meilleur des rois,
Jurons de mourir sous ses lois.

Ainsi en juin 1790 la situation politique était déjà tellement tendue, que cet honnête Sylvain Bailly, monarchiste lui-même, et qui plus tard devait se montrer si courageux devant la mort, trouvait dangereux de risquer au théâtre deux vers qui pouvaient passer pour un éloge de Louis XVI.

Tarare, avec son supplément politique, devait être repris le jour même de la fête du 14 juillet ; divers incidens firent retarder cette reprise jusqu’au 3 août. La pièce se produisit enfin à l’Opéra devant une foule énorme et au milieu d’un vacarme effroyable. Les colons d’une part, indignés de l’apparente concession de Beaumarchais ; les négrophiles de l’autre, non moins indignés de ses réticences ; ceux qu’on appelait alors les aristocrates et ceux qu’on nommait plus particulièrement les patriotes furent également mécontens. Chacun des partis en lutte se trouva blessé dans ses sympathies : les uns sifflèrent à outrance la scène du divorce et celle du mariage des prêtres ; les autres, en applaudissant cette concession à l’esprit de l’époque, s’irritèrent des allusions contre l’émeute et des tirades monarchiques qui subsistaient encore dans Tarare, notamment de celle où le héros, dispersant les soldats qui veulent assassiner le sultan Atar, leur dit :

Oubliez-vous, soldats usurpant le pouvoir,
Que le respect des rois est le premier devoir ?

Lafayette et Bailly furent obligés de faire intervenir la garde nationale pour rétablir l’ordre. Cependant le parterre en général était assez dans le ton des idées mixtes présentées par Beaumarchais, si j’en juge par cette lettre qu’adresse à l’auteur de Tarare, en date du 4 août 1790, un patriote nommé Rivière, modéré dans ses opinions, quoique très chaud dans son langage :


« Monsieur, écrit ce patriote à Beaumarchais, sans avoir l’honneur d’être connu de vous, j’ose prendre la liberté de vous dire que j’ai été on ne peut plus scandalisé hier, à la première représentation de la reprise de l’opéra de Tarare, du train abominable, des hurlemens, des sifflemens que se sont per-