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moi. Chesterfield dit que j’ai formé contre moi une coalition de whigs, de tories, de trimmers et de jacobites. A la bonne heure! j’ai la vérité de mon côté, qui est plus forte qu’eux tous. »

Le 18 mars 1750, lady Bolingbroke mourut à soixante-quatorze ans. Bolingbroke paraît l’avoir toujours aimée. En 1723, il avait écrit à Swift : « L’amour que j’étais habitué à répandre avec quelque profusion sur tout un sexe a été depuis quelques années dévoué à un seul objet. » Et depuis lors, jusqu’au jour où il la perd, il ne nomme sa femme dans ses lettres qu’avec tendresse, et il se plaît à retracer en elle les qualités qu’il admire. Pendant les longues souffrances qui précédèrent la fin, il lui rendit des soins dévoués, et ses lettres à lord Marchmont, un de ses derniers amis, expriment avec vérité les vives inquiétudes qu’elle lui inspire. Il fit déposer ses restes dans le caveau des Saint-John de l’église de Battersea, et on y lit encore une épitaphe qu’il composa lui-même à la louange de cette femme, l’honneur de son sexe, le charme et l’admiration du nôtre.

Elle lui légua d’assez pénibles procès, commencés en France, qui ne furent même gagnés qu’après lui et par les soins de son ami le marquis de Matignon. Il s’agissait de droits fondés sur son mariage, dont on contestait l’existence et la régularité, mais qui fut enfin reconnu par arrêt du parlement.

Son âme attristée ne demandait plus que du repos; mais une maladie cruelle tortura la dernière année de sa vie. Il la supporta avec calme et avec courage. Lord Chesterfield, depuis quelque temps lié intimement avec lui, le vit pour la dernière fois quinze jours avant sa mort. Ils se quittèrent avec émotion : « Dieu, qui m’a placé ici-bas, fera de moi ce qu’il voudra après ceci, et il sait ce qu’il y a de mieux à faire. Puisse-t-il vous bénir ! » Tels furent les derniers adieux de Bolingbroke. On y voit le fond de son cœur, plus de foi en Dieu que dans l’autre vie. Il mourut, le 17 décembre 1751, dans sa soixante-quatorzième année. « N’êtes-vous pas bien touchée, écrit en français lord Chesterfield à Mme de Mauconseil, mais je suis sûr que vous l’êtes, de la misérable mort de notre ami Bolingbroke ? Le remède a avancé sa mort contre laquelle il n’y avait point de remède... Je perds un ami chaud, aimable et instructif. Je l’avais vu quinze jours avant sa mort... Le lendemain, les grandes douleurs commencèrent et ne le quittèrent plus que deux jours avant sa mort, pendant lesquels il resta insensible. Quel homme ! quelle étendue de connaissances ! quelle mémoire ! quelle éloquence ! Ses passions, qui étaient fortes, faisaient tort à la délicatesse de ses sentimens; on les confondait, et souvent exprès. On lui rendra plus de justice à présent qu’on ne lui en a rendu de son vivant. »

Avant de mourir, Bolingbroke avait défendu qu’aucun