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tions rares, est en général des plus médiocres, et l’embarras qu’il éprouve à écrire en vers réagit sur l’idée même qu’il veut exprimer, l’affaiblit et l’écrase, si bien qu’on est tout étonné de voir l’auteur du Barbier de Séville dialoguer parfois dans Tarare avec une insignifiance qui touche à la platitude.

Non content de se tromper gravement sur ses aptitudes en écrivant en vers un ouvrage de longue haleine, Beaumarchais s’était en quelque sorte complu à s’imposer tous les genres de difficultés. Il avait prétendu faire un libretto d’opéra non-seulement poétique et dramatique, mais encore philosophique et même scientifique, en substituant à la mythologie grecque une mythologie nouvelle. « Les sciences exactes, dit à ce sujet M. Saint-Marc Girardin, qui a fait une critique très judicieuse et très fine de Tarare, les sciences exactes étaient alors de mode ; chacun vantait leur netteté et leur certitude, chacun s’écriait qu’il n’y aurait de morale et de philosophie parfaites que lorsqu’elles se rapprocheraient de la géométrie. Beaumarchais s’imagina que la poésie gagnerait à se rapprocher de la physique[1]. » Voici le canevas sur lequel fut brodé ce bizarre assemblage de féerie, de drame, de philosophie et de physique. En lisant le joli conte d’Hamilton intitulé Fleur d’Épine, Beaumarchais avait été frappé du nom grotesque de Tarare que le conteur donne au personnage principal, et de l’effet produit par ce nom sur ceux qui l’entendent prononcer. Outre que Tarare, dans le conte d’Hamilton, représente assez bien cette figure d’homme obscur, spirituel et adroit, luttant contre tous les genres d’obstacles et les surmontant par son habileté, genre de figure que l’auteur du Mariage de Figaro aima toujours à peindre à cause d’une certaine parenté avec la sienne, il lui sembla ici que ce nom de Tarare aurait le double avantage de donner du piquant à l’affiche et de faciliter les coups de théâtre dans la pièce, en l’employant de la même manière, mais dans un autre sens. Hamilton n’en tire que des effets comiques, tandis que Beaumarchais donne ce nom à un guerrier redouté d’un tyran, qui ne l’entend jamais prononcer sans entrer en fureur et sans se livrer à quelque acte de violence qui amène dans le drame une nouvelle complication. Ce nom d’ailleurs est à peu près la seule chose que l’auteur de Tarare emprunte à Hamilton ; le reste de sa fable n’a plus rien de commun avec le conte de Fleur d’Épine. Il est tiré en grande partie d’un conte traduit du persan et intitulé Sadak et Kalasrade ; mais comme Beaumarchais tenait à mettre dans son opéra plus de philosophie que le narrateur persan, il prit les choses de plus haut. Dans un prologue des plus étranges, il entreprit de montrer le Génie de la

  1. Essais de Littérature et de Morale, par M. Saint-Marc Girardin, t. Ier, p. 120.