Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/775

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

européenne ; mais cette ennemie est insaisissable parce qu’elle change de forme et renaît sans cesse : prussienne ou autrichienne l’an dernier, russe aujourd’hui.

À l’heure qu’il est, au nom de cette nécessité, le ministère danois, présidé par M. OErsted, refuse aux chambres le droit de discuter la constitution commune qui doit régir tous les états de la monarchie. Où en est donc, nous le demandons, le progrès constitutionnel dont le Danemark s’est tant réjoui, et de quoi a servi le sang répandu à Fredericia et à Idstedt ? Ne parlez plus d’équilibre européen. Quoi ! voilà une petite, mais héroïque nation qui, par ses progrès intérieurs, par ses réformes sociales, par son passage calme et digne de l’absolutisme à la liberté, par l’usage pur et sans excès de cette liberté, a mérité toutes les sympathies de l’Europe, et la diplomatie a permis qu’elle fût divisée, mutilée par d’ambitieux voisins et refoulée dans l’absolutisme ! Quelle insulte à la mémoire de ceux qui sont morts sur les derniers champs de bataille ! Quelle douleur pour ceux qui survivent, et pour ceux-là en particulier (car les ministres du Danemark sont apparemment tout aussi dévoués à leur pays que leurs concitoyens), pour ceux-là qui se trouvent obligés d’être, en pareille occasion, les instrumens de nécessités étrangères à l’intérêt national !

Pour ce qui est de son progrès intérieur et social, il faut que le Danemark ne compte que sur sa propre énergie. Quant aux dangers qui le menacent au dehors, la France, l’Europe occidentale tout entière n’est-elle pas solidaire avec lui ? Est-ce un médiocre danger que celui qui s’accumule au seuil de l’Europe ? Les progrès de la Russie au nord-est du continent, sur les bords de la Baltique et du Sund, pour avoir été plus silencieux et plus ignorés que sa marche vers Constantinople, ont-ils été moins sûrs et moins redoutables ? C’est à L’Europe entière qu’il appartient de le décider ; la cause du Danemark est la sienne, et il est permis de se tenir pour convaincu que la France en particulier ne l’oubliera pas.


A. GEFFROY.