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quatre ans à peine, au rang des monarchies constitutionnelles. Il a accompli cette transformation, — annoncée et préparée par ses rois avant la révolution de 1848, — au milieu du trouble général de l’Europe, en présence, d’une réaction presque universelle et sans tomber lui-même dans les excès démagogiques ; mais parce qu’il n’a pas pu affranchir sa nationalité de tout contact avec les nationalités voisines ni rompre d’anciennes relations féodales qui ont failli déjà lui devenir mortelles, tout le résultat de ses longs efforts est menacé de ruine. Privé par ces liens étroits, restes du moyen âge, de toute liberté d’action, il est asservi au bon ou mauvais gré de la diplomatie européenne, et voit mettre en question, en dépit de la théorie de l’équilibre européen, en dépit de ses dernières victoires, ou bien sa constitution libérale, redoutée de quelques puissans voisins, ou bien son existence même, menacée dans l’avenir par une loi de succession malheureuse, — dans le présent par une combinaison regrettable qui équivaudra presque infailliblement à un sacrifice du Slesvig.

Ce n’est pourtant pas la vigueur d’une nationalité jeune et confiante dans son avenir qui manque au Danemark. Non, rien ici n’indique la décadence. Il faut voir dans la crise actuelle qui remplit les Danois d’une patriotique anxiété une des vicissitudes de la lutte engagée depuis un siècle par toute l’Europe pour assurer le triomphe des institutions conformes à l’esprit moderne. C’est là une difficile et longue révolution, mais dont aucune des nations de l’Europe ne saurait éviter, quand elle le voudrait, le dur travail, parce qu’elle est l’invincible loi de l’avenir, et nous devons souhaiter qu’aucune ne succombe parmi celles qui y apportent de notre temps de la constance et de l’énergie.


I

Les réformes sociales sans lesquelles un peuple ne mérite pas d’être classé parmi les nations modernes se sont accomplies en Danemark vers la fin du XVIIIe siècle. On y peut dater de l’année 1788 l’abolition du servage ; mais il est nécessaire, pour comprendre comment s’accomplirent dans cette partie de l’Europe une si importante réforme et celles qu’elle dut entraîner à sa suite, de savoir quelle avait été la marche du développement social en Danemark.

Le paganisme Scandinave n’avait réellement connu que trois classes : — les chefs militaires, — les paysans, propriétaires du sol, — et les esclaves attachés à la glèbe. Le titre de paysan (blonde) rappelait une certaine idée de puissance et de richesse, et les paysans formaient la véritable aristocratie, appuyée sur les principes de l’hérédité et du droit d’aînesse. Le christianisme, en s’établissant chez les peuples du Nord au commencement du XIe siècle, condamna le