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elle exerce sur les affaires intérieures du pays une pression qui entrave tristement les progrès de l’esprit public. De là une crise dont les dernières agitations se continuent en Danemark et forment les plus récens épisodes de son histoire sociale comme de son histoire politique.

Le système féodal et la diplomatie européenne, tels sont les deux ennemis que rencontre l’esprit d’indépendance et de progrès en Danemark : ces deux ennemis se soutiennent l’un l’autre et se prêtent un mutuel appui. À l’extérieur la question de succession au trône, à l’intérieur la question constitutionnelle, ont fourni également des armes aux partisans d’un passé qui ne peut plus revivre. La lutte contre les influences féodales secondées d’un côté par la diplomatie européenne, de l’autre par une fraction de la noblesse nationale, a fait ressortir à plusieurs reprises, depuis la fin du dernier siècle, l’énergique patriotisme des populations danoises.

Cette ligue des intérêts diplomatiques et du régime féodal, étudiée dans l’action qu’elle a exercée depuis cinquante ans sur cette nation si digne de nos sympathies, jette un singulier jour sur les obstacles qu’opposent encore en certains pays de l’Europe les traditions du passé au progrès politique. On entend répéter que l’Europe est bien vieille, et que si un souffle du dehors ne vient lui inspirer une nouvelle vie, elle a fini son temps. S’il en est ainsi, qu’a-t-elle fait du précieux, du court espace qu’elle avait à vivre, cette Europe délivrée à peine du servage, et dont aucune nation, sauf une peut-être, n’a pu, malgré tant de luttes et de sang versé, jouir pendant un siècle seulement d’un gouvernement libre bien affermi ? Quel progrès ont fait sur notre continent le respect de l’équilibre européen et celui des nationalités, belles maximes inventées du reste il y a deux siècles à peine ? S’il est vrai que le magnifique traité de Westphalie ait proclamé ces principes, et que de telles conventions soient réellement, comme l’a dit Montesquieu, la voix de l’humanité souffrante qui réclame ses droits, le respect de ces pactes solennels ne doit-il pas de jour en jour devenir plus scrupuleux et rendre l’intervention des traités mêmes moins nécessaire ? En vérité l’Europe a encore beaucoup à faire, et toutes les promesses de sa civilisation moderne ne sont pas accomplies. Non-seulement sa carrière ne semble pas achevée, mais des liens funestes qu’elle aurait dû rompre la retiennent encore à quelques-unes des pires institutions du passé.

Voici un petit pays, le Danemark, qui a bien mérité, non pas seulement de la France, dont il a été dans ses dernières luttes le plus constant et le dernier allié, mais aussi de la société européenne tout entière. Il a, par une rare énergie, rejeté depuis quatre-vingts ans le servage et l’absolutisme ; il s’est élevé tout récemment, il y a