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Bolingbroke songea encore à la reformer : il reprit avec moins de bruit et d’ardeur ses habitudes d’intrigues, il eut des entrevues avec Pitt et avec Chesterfield, alors au premier rang des compétiteurs du pouvoir; mais il trouva le premier hautain et intraitable, et ce ne l’ut pas la dernière fois que ces épithètes devaient s’unir à son nom (1744). Pitt dit que c’était un vieillard pédant, inquiet et qui se querellait avec sa femme. Chesterfield le goûta davantage. C’était un homme de conversation et que Bolingbroke charma; cependant il causa avec lui et ne se compromit pas à suivre ses conseils : il était plus près de s’entendre avec les Pelham, devenus tout-puissans, que de conspirer contre eux. Jusque dans les menées qui amenèrent lord Granville (Carteret) au ministère pour deux jours, on retrouve la main de lord Bolingbroke. La même année (1746), il s’occupait encore de son plan favori de coalition, une de ses lettres en fait foi. Deux ans après, la paix d’Aix-la-Chapelle lui remettait la plume à la main, et il commençait des Réflexions sur l’état de la nation. Cet écrit, qui devait être d’une certaine étendue, ne fut pas fini. Le point que l’auteur y traitait principalement était l’exagération des taxes et de la dette publique, sujet accoutumé des gémissemens des tories depuis la guerre de la succession. En aucun temps depuis son retour, il ne cessa de cultiver la bienveillance du prince de Galles, protection impuissante à qui devait manquer l’avenir. L’opposition de Leicester-House se guida par ses conseils. Il avait une telle réputation d’esprit qu’elle résistait à ses revers et à ses fautes. On venait encore à lui, ne fût-ce que pour l’entendre, et rien ne pouvait le faire renoncer à l’espoir de regagner un jour sa pairie. Mourir pair avec le titre de comte fut jusqu’au bout son ambition; mais elle dut s’évanouir sans retour, quand une mort prématurée enleva, en 1751, le prince Frédéric.

Il fallut qu’il se contentât de la célébrité de son nom et de la distinction de son esprit. S’il s’était plus tôt décidé à jouir en repos de ces avantages, sa vieillesse calme et brillante aurait relevé sa vie. Telle qu’elle fut, et malgré les écarts de son humeur inquiète, elle ne manqua pas de dignité. On l’appelait le premier citoyen de la république des lettres. L’admiration du moins qu’il inspirait comme écrivain à des juges habiles eût permis de lui donner ce titre. Lord Chesterfield ne cesse dans ses lettres d’exalter les ouvrages de Bolingbroke, et il va jusqu’à dire qu’avant d’avoir lu son Essai sur le patriotisme, il ignorait la puissance de la langue anglaise. Il ajoute que la facilité, l’élégance et l’éclat de sa conversation la rendaient égale au style de ses écrits. Il le cite sans cesse à Philippe Stanhope comme un modèle accompli. Dans le portrait qu’il a tracé de lui, il ne dissimule cependant ni ses désordres, ni ses passions violentes, ni les petitesses d’un caractère irritable; mais il le dépeint comme