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dans le salon de cette princesse russe à laquelle je donne des leçons, et qui a été procurée à mon frère par le docteur… A propos, interrompit brusquement Antoine, vous ne m’aviez pas dit que vous aviez déjà traité avec Morin pour aller peindre des dessus de porte dans la campagne d’un de ses cliens.

— Il n’a jamais été question de cela entre nous, dit Francis étonné.

— C’est pourtant ce que Morin a répondu à la princesse, qui désirait vous parler. Il a même dit que vous deviez déjà être parti.

— Pourquoi diable a-t-il inventé cela ? se demanda tout haut Francis.

— La vente était conclue depuis quinze jours, fit Antoine. Seulement Morin avait obtenu de la princesse que les tableaux seraient laissés encore quelque temps en montre.

— Savez-vous combien elle a payé mes tableaux ? demanda Francis.

— Assez cher, répondit Antoine en souriant ; mais vous êtes mon ami, et je vous ai donné le premier coup d’épaule de la camaraderie en disant à la princesse que c’était bon marché. Morin a reçu quinze cents francs.

— Ah ! je comprends maintenant, s’écria Francis, je comprends pourquoi il ne m’a pas parlé de cette vente, et pourquoi il craint que je ne me rencontre avec cette dame. Il veut que j’ignore l’énorme gain que lui rapporte sa première affaire avec moi.

— C’est bien possible, et surtout dans le caractère de l’homme, dit Antoine, et je pensais quelque chose de semblable. Au reste, j’ai certifié que vous étiez encore à Paris, et j’ai donné votre adresse à mon élève. Si celle dame veut vous faire une commande, comme cela est supposable, vous pourrez traiter sur un bon pied et jouer à Morin le tour de lui rogner son énorme escompte. La princesse est fort riche et ne regarde pas à l’argent : elle vous en a donné la preuve, ajouta Antoine.

Le mot siffla à l’oreille de Francis, et cette plaisanterie sur l’heureuse vente de ses œuvres lui déplut, mais il ne montra pas son dépit.

— Et vous pensez que cette dame a l’intention de me commander quelque chose ? demanda-t-il.

— Peut-être veut-elle que vous lui fassiez deux pendans à votre Printemps et à votre Hiver. Au reste, maintenant qu’elle sait où vous trouver, elle vous fera demander. À propos, dit Antoine, nous vous invitons à dîner pour ce soir à la maison ; on pendra la crémaillère pour votre réception. J’ai reçu mon mois de leçons chez la princesse. Le mois prochain ne sera pas si bon, car cette dame est forcée d’interrompre pour une quinzaine de jours : il lui est arrivé de Russie des parens qui lui prennent tout son temps.

— Est-elle jeune ? demanda Francis.