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allait leur faire signe, mais on passa auprès des fiacres sans s’arrêter.

— Quel malheur que grand’mère ne puisse pas supporter le mouvement de la voiture ! dit Antoine, connue pour répondre à l’étonnement que Francis avait laisse paraître en voyant que les buveurs d’eau continuaient la route à pied. Cette pluie qui ne cesse pas ! — Francis souffrait réellement de voir cette pauvre femme exposée à ce déluge glacial. Il savait parfaitement à quoi s’en tenir sur le motif allégué par Antoine pour s’excuser auprès d’un étranger de n’avoir pas pris une voiture. — Monsieur, dit-il avec vivacité, permettez-moi de vous proposer mon parapluie, et veuillez le porter à madame votre mère, il la préservera toujours un peu pendant le temps qu’elle mettra à rentrer chez elle. — Antoine voulait refuser ; mais Francis insista avec tant de cordiale simplicité, qu’il finit par accepter, et remercia Francis avec une effusion qui prouvait combien il était content qu’il eût eu cette idée. Il porta le parapluie à la grand’mère, qui se retourna en arrière pour remercier aussi. Francis la salua par une respectueuse inclination. — Mais, dit Antoine en revenant, vous, monsieur, vous allez être privé…

— Je suis jeune, dit Francis. Il allait ajouter : Et bien couvert, mais il se retint.

— Alors, dit Antoine, comment vous remettre votre parapluie ?

— Voici mon adresse.

Et il tira de son portefeuille une carte qu’il remit au jeune homme. Francis pensait qu’il allait la regarder, et se disposait à observer sur sa physionomie l’effet que produirait son nom ; mais Antoine prit la carte, la glissa dans sa poche sans la voir, et remercia de nouveau.

On était arrivé sur la place de la Bastille. C’était là que Francis avait dit qu’il s’arrêterait. Il salua ses compagnons de route, s’inclina avec respect devant la grand’mère, et s’éloigna par un côté opposé à celui que suivaient les buveurs d’eau.


IV. – LES BUVEURS D’EAU.

Rentré chez lui, Francis fit la toilette de son atelier. Il savait que dans toute première entrevue qui a un but intéressé, l’influence des lieux n’est pas étrangère. Il pensait que l’intimité serait plus difficile à établir, si la première pensée d’Antoine en entrant chez lui l’obligeait à faire une comparaison qui donnât trop d’avantage, à son intérieur. Il fit donc disparaître toutes les choses qu’il avait acquises récemment et qui donnaient à son atelier un aspect trop meublé ; il cacha les quelques fantaisies de demi-luxe qui étaient sans utilité pour son travail, il retira des murailles les toiles commencées dont il avait constaté lui-même la faiblesse, il changea de place et exposa