ceux-ci prenant parti pour le vaincu, ceux-là contre, le plus grand nombre avec indifférence. « Un homme à la mer ! » disent-ils philosophiquement. Si au contraire il y a un vainqueur, alors toute la multitude se remue comme une fourmilière dans laquelle un oisif donne un coup de canne.
Les artistes si vains de ce titre ont parfois des accès de mesquine inquiétude. Ils ont toujours le mot progrès à la bouche dans leurs discours, et toutes leurs actions prennent le mot d’ordre de la routine. Ils parlent sans cesse de l’indépendance dans l’art, et s’ils étaient mis en demeure de formuler un code, ils seraient unanimes pour produire un traité d’une tyrannie draconienne. Si restreinte qu’eût été la première tentative de Francis devant le public, si modeste qu’en eut été l’écho, cela était suffisant pour que tous les rapins de Paris accourussent devant la vitrine où ses tableaux étaient exposés. Quelques-uns, connaissant le marchand, entraient dans sa boutique pour examiner ces peintures de plus près et se renseigner sur le compte de l’auteur. Etait-il jeune ? était-il riche ? Quel était son maître ? N’était-ce point un amateur comme on en rencontre quelquefois, dans le monde, une de ces célébrités de salon à laquelle des triomphes d’album et des bravos gantés de blanc ont tourné la tête, et qui viennent faire une campagne de fantaisie dans le domaine de l’art, comme un dandy va faire un tour à Bade, disant au public : « .Mon Dieu ! oui, j’ai fait ça en m’amusant. Qu’est-ce que vous en pensez ? Dites-le-moi franchement, et remarquez bien que ce n’est pas mon état ? » A quoi le public répond souvent, avec la franchise demandée, que cela se voit très bien en effet.
Le marchand, interrogé ainsi à propos de Francis, répondait ce qui était, en ajoutant force amplifications. « Et venez encore dire que vous êtes malheureux, drôles ! ajoutait-il. Clabaudez contre la destinée et contre le public qui ne sait pas ce qu’il veut ! Il veut qu’on lui plaise, qu’on le satisfasse, qu’on s’ingénie à aller au-devant, de ses fantaisies, et non pas, comme vous le faites les trois quarts du temps, à satisfaire les vôtres, qui lui importent peu. Toute bourse qui sonne est exigeante et en a le droit. Faites des concessions au public, sacrifiez au goût du jour, sans vous préoccuper s’il sera celui de l’année, et vous trouverez en moi un intermédiaire utile, complaisant, dévoué, pour mettre vos œuvres en circulation. Vous aurez un établissement bien achalandé, bien situé ; on fera à votre peinture la toilette d’un beau cadre, on la mettra sur un beau chevalet, et on la montrera aux passans sous la lumière de quatre becs de gaz. »
Un jour, en passant sur le quai, Francis fut arrêté par le passage d’un convoi qui devait être celui d’un personnage important, car au milieu de la foule qui l’accompagnait, les curieux désignaient des