Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agréable et mieux disposé qu’il ne le croyait ; pourvu qu’il n’ait pas l’idée de nous augmenter ! C’est dangereux d’embellir un appartement à ses frais ; le propriétaire croit toujours qu’ils sont à son compte, et veut les rattraper sur les loyers. Il m’a quitté en me disant qu’il aurait peut-être de l’ouvrage à me donner : voudrait-il me faire repeindre son escalier ?

« A ton retour, tu trouveras bien des petites choses que nous ne possédions pas de ton temps, entre autres une bonne lampe achetée à ton intention. Nous avons acquis comme cela divers objets de grande nécessité et qui nous semblent du luxe. Si tu savais comme ça nous paraît drôle d’acheter ! pendant si longtemps nous avions fait le contraire. Aussitôt que tu seras revenu, il faudra te mettre au tableau du docteur. J’avais d’abord songé au Bon Samaritain de Rembrandt ; cette copie eût été un à-propos. J’ai emmené le docteur au Louvre pour qu’il fît son choix. Son opinion à propos de Rembrandt est même assez curieuse. Comme je lui montrais deux ou trois des toiles dans lesquelles se révèle le plus puissamment le lumineux génie de ce maître, le docteur, peu habitué à saisir la forme dans ces ténèbres de bitume dont le centre est seul éclairé, s’est écrié : Bah ! toujours la même chose ! une cave dans laquelle on tire un pétard. Après s’être promené dans toutes les galeries, admirant de confiance, le docteur a fixé son choix sur un Boucher de la galerie française, — Faunes et Bacchantes jouant dans les vignes, dit le livret, et ne se servant pas des feuilles, a ajouté le docteur en riant beaucoup. Faites-moi une copie de ça. — Comment ton sévère pinceau s’arrangera-t-il de ce badinage ?

« Cette fois je te dis bien adieu, c’est-à-dire au prochain revoir. Nous t’attendons dans quinze jours au plus tard. Quelques-uns des nôtres auront besoin de tes conseils pour leurs envois de l’exposition. On parle de belles choses entrevues dans les ateliers de quelques jeunes gens encore inconnus. Tant mieux, mille fois tant mieux, et bonne chance à ces nouveau-venus. Le succès est contagieux. Je t’embrasse sur les joues de grand’mère, qui vient de s’endormir dans son grand fauteuil, son chapelet entre les mains ; elle a sur les lèvres une prière pour nous : Dieu l’entende ! Pauvre sainte femme ! penser que son meilleur temps sera justement celui où elle aura tant souffert !

« Adieu, ton frère et confrère, PAUL. »

« P. S. Au moment où je fermais cette lettre, j’en reçois une du docteur. Il m’a trouvé des leçons chez une de ses clientes, une étrangère très riche, qui vient passer l’hiver à Paris, et dont une chute de cheval a livré le pied mignon aux soins de notre bon docteur. J’irai demain chez cette dame qui entre en convalescence. »