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tissus vivans. Si dans ces altérations il y avait eu quelque chose de tout-à-fait spécial, le problème se trouvait résolu ; la médecine n’avait aucun secours à emprunter pour déclarer que, dans telle et telle circonstance, il y avait ou n’y avait pas eu empoisonnement Mais la chose n’est pas aussi simple ; il est des maladies spontanées qui, dans les organes, produisent des lésions difficilement discernables de celles qui sont l’effet des poisons, et dès lors toute conclusion est atteinte d’une incertitude trop réelle pour qu’on y attache des arrêts de vie ou de mort.

Pendant que la médecine cheminait, l’alchimie, par une transformation dont ce n’est pas ici le lieu de rappeler l’histoire, était devenue la chimie, démontrant d’une façon péremptoire qu’aucune matière ne se perd, et se faisant fort de retrouver dans les corps composés les corps composans. Qu’on observe encore ici avec attention les coïncidences nécessaires de l’évolution historique : ce fut dans le courant du XVIIe siècle et particulièrement dans la seconde moitié du XVIIIe que la chimie se constitua ; ce fut aussi à ce moment que la médecine se trouva en état d’user des nouveaux secours qui lui arrivaient. On peut le dire, dans tout le cours de son développement il ne s’était encore offert à elle nul événement qui la servit si bien dans ses recherches propres, et tout d’abord elle en usa pour se mettre à la trace du trajet que parcourent les poisons dans le corps. Ce qui avait été impossible à l’antiquité, au point qu’elle n’en dut pas même concevoir la pensée, se présenta comme un problème parfaitement soluble auquel on mit la main.

La solution a été obtenue : elle est pleinement générale et satisfaisante tant qu’il s’agit de poisons minéraux. Le métal n’est sujet à aucune décomposition ultérieure, et tel il est introduit dans l’économie, tel il se retrouve, après s’être mélangé aux boissons, aux alimens, aux humeurs, après avoir circulé avec le sang, après s’être logé dans les dernières profondeurs des organes. Mais il n’en est plus de même pour les poisons organiques, c’est-à-dire les poisons qui viennent des végétaux ou des animaux ; ceux-là sont des substances composées, parfois très complexes ; les élémens s’en dissocient facilement, et dès lors manque cette persistance, cette identité qui, dans les empoisonnemens métalliques, assure tellement les investigations. Devant ce nouveau problème, la chimie n’est restée ni inactive, ni impuissante ; elle sait retrouver quelques poisons végétaux, mais elle est loin de les reconnaître tous, et là, en bien des cas, elle n’a plus que des présomptions en place des certitudes qu’ailleurs elle peut offrir à la conscience du juge.

Orfila eut plusieurs grandes occasions d’éclairer la justice, soit en montrant qu’en effet un poison avait été administré, soit en faisant