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Orfila, par ses recherches spéciales sur des poisons particuliers et par son ouvrage sur la toxicologie, donna une forte et féconde impulsion à ces études, qui occupèrent à l’envi les médecins et les chimistes. Des luttes vives éclatèrent, des objections s’élevèrent, des difficultés surgirent, si bien qu’un moment on crut que cette doctrine, si laborieusement construite, allait devenir inutile, au moins en quelques-unes de ses applications devant les tribunaux. Ce fut quand on découvrit que le corps humain, qui, comme on sait, renferme une portion notable de fer, contient ou peut contenir, sans empoisonnement, certaines substances métalliques vénéneuses. Comment alors discerner, en un cas donné, si cette substance est là par le fait d’un crime ou d’un état naturel ? Orfila s’employa avec ardeur à dissiper les doutes que suscitait cette complication inattendue du problème. De là, il fallut passer à l’examen du sol des cimetières, imprégné lui-même parfois de métaux toxiques. Or ces métaux peuvent pénétrer dans les corps qui y ont été ensevelis et qu’on exhume. Ces causes d’erreur ayant été signalées et éclaircies, Orfila laissa la toxicologie plus assurée en sa marche et en ses dires qu’il ne l’avait trouvée.

Les notions des anciens étant tout à fait rudimentaires, ils allaient chercher des preuves chimériques. Ainsi ils attachaient une grande importance aux taches et aux lividités ; ils supposaient que le cœur, cet organe essentiel, devait porter des traces de l’action violente qui avait éteint la vie, et ils croyaient ou qu’il se couvrait de marbrures, ou qu’il devenait incapable de se consumer dans la flamme du bûcher funéraire. Que dire de pareils argumens ? Quelle valeur auraient-ils devant les tribunaux ? Et si on leur en a jamais accordé, à quelles erreurs n’ont-ils pas dû donner lieu ? En cet état, la médecine était absolument impuissante à éclairer la justice ; aujourd’hui elle est une de ses lumières, et cette différence constate tout le progrès accompli. Quelques exemples de ce qui se faisait ou se disait dans l’antiquité à ce sujet le feront mieux ressortir encore.

Des bruits d’empoisonnement coururent, on le sait, après la mort d’Alexandre. Ceux qui pensaient alors que la mort avait été naturelle alléguèrent comme une preuve non petite que le corps, étant resté pendant plusieurs jours sans aucun soin, à cause des discordes des généraux, n’avait présenté aucune trace de l’action d’un poison, bien que déposé dans des lieux chauds et étouffans. Ceci témoigne, non qu’Alexandre ne fut pas empoisonné, mais que les historiens qui invoquent de tels argumens sont sous l’influence de ce préjugé qui fit croire longtemps qu’un corps empoisonné cède plus vite à la putréfaction. Les observations positives n’ont aucunement justifié ces idées préconçues ; la corruption inévitable de