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qui n’ont pas eu la fermeté d’aller jusqu’au bout justifierait ces conjectures; mais, pour expliquer un des épisodes les plus obscurs de cette vie souvent énigmatique, on a recours à des suppositions plus graves que lord Mahon lui-même ne repousse pas. Dans le portrait terrible que Walpole traça de l’anti-ministre, dans cette invective où il le grandit au rôle de chef et d’inspirateur secret de la coalition tout entière, au nombre des méfaits dont il l’accuse est l’imputation formelle d’avoir en tout temps comploté avec l’étranger, livré les secrets de son pays aux gouvernemens ennemis, dirigé leur bras par ses conseils, et jeté ensuite l’alarme dans la nation en divulguant leurs desseins, qu’il avait lui-même suggérés. Le ton du passage est si positif et si menaçant, qu’on n’y saurait voir une pure déclamation, et l’on s’est demandé si, après le triomphe de Walpole, la crainte d’une dénonciation sous forme juridique n’aurait pas déterminé Bolingbroke à fuir devant un ennemi qu’il savait muni contre lui de pareilles armes. Tel sera aussi le danger qui aura inquiété et refroidi ses amis de l’opposition. Lui-même, troublé de la conscience de ses actes, il se serait prudemment condamné à un volontaire exil. Voilà pourquoi il aurait attendu la chute de Walpole pour oser affronter sa présence.

Ce n’est là toutefois qu’une conjecture. On voit bien, dans la correspondance d’Horace Walpole (l’ancien), que pendant son ambassade à Paris, en 1727, lady Bolingbroke correspondait, par la voie des contrebandiers, avec une partie du ministère français, et annonçait un changement de ministère et l’abandon de Gibraltar. Des historiens accusent également son mari d’avoir, vers 1730, cherché à jeter la division parmi les signataires du traité de Hanovre, et encouragé l’Espagne à ne pas exécuter sur quelques points le traité de Séville. Néanmoins ce sont là de pures allégations, appuyées seulement par la mauvaise renommée de celui qu’elles accusent. Nous n’oserions les qualifier d’imposture; mais nous admettons volontiers qu’entre la froideur de ses amis qu’il avait fourvoyés, la colère de ses ennemis qu’il avait offensés, il jugea prudent de disparaître, et songea pour la première fois à se faire oublier.

Quoi qu’il en soit, il se retira en Touraine, à Chanteloup, lieu célèbre par plus d’un exil. Locataire de cette résidence, il en avait une autre plus modeste, Argeville près de Fontainebleau; mais laissons Pope nous décrire sa nouvelle existence.

« Sa vie est maintenant une vie très agréable, partagée entre l’étude et l’exercice, dans la plus belle contrée de la France, car il écrit ou lit cinq ou six heures par jour, et chasse généralement deux fois la semaine. Il a toute la forêt de Fontainebleau à sa disposition, avec les chevaux et l’équipage du roi, le gendre de sa femme étant gouverneur de ce lieu. Celle-ci demeure la majeure partie de l’année