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beauté. La beauté physique, la beauté intellectuelle, la beauté morale, sont trois manifestations d’une même idée. Ne comprendre et n’accepter que la première de ces manifestations, c’est ne posséder qu’une notion évidemment incomplète de la beauté. Ne pas saisir en quoi la seconde est supérieure à la première, et la troisième à la seconde, c’est avouer tout simplement qu’on ne conçoit pas la supériorité de la pensée sur la forme visible, la supériorité de la volonté sur la pensée.

Toutes les idées que je viens de résumer sont présentées par M. Cousin dans un admirable enchaînement, Le principe de l’unité dans la variété une fois posé, il en déduit clairement toutes les conséquences. S’il n’a pas l’honneur d’avoir découvert ce principe, il a du moins le mérite de l’avoir choisi entre tous les principes proposés pour expliquer la beauté. Si l’école sensualiste était incapable de déterminer les facultés qui servent à la perception du beau, elle n’eût pas été moins inhabile à définir les trois formes sous lesquelles il se manifeste, — dans le monde des sens, dans le monde intellectuel, dans le monde moral. Il appartenait au spiritualisme seul de saisir et d’expliquer le beau dans ses expressions les plus diverses ; c’est une tâche laborieuse qu’il a pleinement accomplie.

La vérité une fois aperçue, il ne suffisait pas de la montrer telle qu’elle s’était révélée aux yeux, à l’intelligence, au cœur ; il fallait la montrer sous une forme vive et attrayante, il fallait concilier la rigueur de la démonstration avec le charme du langage. Heureusement, l’auteur a compris ce double devoir. L’enchaînement des preuves n’enlève rien à l’élégance de sa parole. Il s’adresse à l’imagination en même temps qu’à la raison ; il ne se contente pas de convaincre, il veut persuader. Évidente comme un théorème, son argumentation intéresse comme un récit. Il n’enseigne pas seulement ce qu’il sait : ému au spectacle de la vérité, il nous associe à son émotion, en un mot, c’est la pensée d’un philosophe exprimée par un poète. Ici se présentait un écueil facile à signaler, mais difficile à éviter. En essayant de nous offrir la vérité sous une forme éclatante, il courait le risque de sacrifier plus d’une fois l’évidence au charme du langage. Le lecteur exercé reconnaîtra sans peine qu’il ne s’est pas heurté contre l’écueil qu’il avait aperçu. Appelant tour à tour à son aide le témoignage de l’histoire et le spectacle de la nature, il enchaîne l’attention tour à tour par la puissance des argumens, par la délicatesse ou la splendeur des images. Il ne vise jamais à l’éloquence et la rencontre sur sa route comme la compagne obligée de la vérité. C’est un bonheur qui n’appartient qu’aux esprits naturellement élevés et fortifiés par de longues études. M. Cousin expose d’abord sa pensée toute nue, comme s’il voulait ne s’adresser qu’aux intelligences