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faculté complexe, puisqu’il n’y a pas de goût sans la réunion et l’emploi simultané de la raison, de la sensibilité, de l’imagination, il est clair que, pour comprendre et accepter les arrêts qu’il prononce, il faut posséder soi-même, au moins dans une certaine mesure, sinon par excellence, les trois facultés dont le goût se compose. Un homme doué d’une raison confuse, d’une sensibilité tiède, d’une imagination languissante, n’est pas capable de percevoir complètement la beauté ; aussi ne faut-il pas s’étonner que les jugemens du goût le plus pur rencontrent souvent une résistance obstinée dans un tel esprit. Vantez-lui la beauté d’une statue grecque, de la Vénus de Milo par exemple, il pourra très bien ne pas partager votre admiration, car sa raison n’aura pas saisi l’harmonie des lignes. L’élégance et la souplesse du corps divin n’auront produit en lui qu’une émotion passagère ; ne soyez donc pas surpris qu’il vous écoute avec indifférence ou avec incrédulité. La pensée la plus vraie, le jugement le plus équitable, ont besoin, pour être acceptés, de trouver dans l’intelligence qui les recueille des facultés à peu près pareilles, sinon égales, aux facultés qui les ont enfantés. C’est pourquoi le sentiment du beau, universel et absolu parmi les esprits d’une certaine classe préparés à cette perception par leurs dons naturels ou par une éducation intelligente et délicate, demeure à peu près inconnu parmi les esprits d’un ordre inférieur. Il n’y a là rien qui doive nous étonner : le contraire serait pour nous un sujet de surprise.

Après avoir défini l’idée du beau et déterminé les facultés qui perçoivent cette idée, M. Cousin aborde les objets qui l’expriment ou la réfléchissent d’une façon plus ou moins imparfaite. Parti de la conscience humaine, il arrive au monde extérieur, au monde des sens. Placé sur ce terrain nouveau, il cherche, dans tous les objets qui tombent sous la prise de nos sens, en quoi consiste la beauté de ceux qui excitent notre admiration. Il démontre sans peine que ni l’utilité, ni la convenance, pas plus que l’agréable, ne saurait se confondre et s’identifier avec la beauté. Il emprunte à l’industrie, à la vie usuelle, des argumens familiers qui élèvent cette démonstration au dernier degré d’évidence. Si le beau se distingue nettement de l’agréable, de l’utile et du convenable, si le sentiment qu’il excite en nous est toujours le sentiment de l’admiration, il reste à trouver la source même du sentiment que nous éprouvons. Or, en comparant tous les objets capables d’éveiller en nous cette émotion qui n’a rien à démêler avec le trouble des sens, nous voyons qu’ils possèdent deux caractères communs : l’unité, la variété, ou, si l’on veut, l’ordre et le mouvement. Depuis la fleur humide de rosée jusqu’au chêne séculaire à l’ombre duquel peut s’abriter un troupeau tout entier, depuis la jeune fille au regard voilé, aux lèvres souriantes, jusqu’au