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de ne pas répudier avec dédain l’opinion vulgaire qui confond et identifie le désir et l’admiration. — Il n’a pas accompli moins heureusement la seconde partie de sa tâche : la détermination des facultés qui servent, à la perception de la beauté.

Trois facultés sont nécessaires pour la perception complète du beau : la raison, le sentiment, l’imagination. — La raison réduite à elle-même, la raison sans le secours du sentiment et de l’imagination, perçoit une partie de la beauté, mais non pas la beauté tout entière. Elle comprend et affirme l’ordre et l’harmonie, mais l’ordre et l’harmonie ne sont pas les seuls élémens de la beauté. Ce que je dis de la raison, on peut le dire avec une égale justesse du sentiment et de l’imagination. Une sensibilité vive, une imagination ardente, nous révèlent plusieurs parties de la beauté ; mais, privées du secours de la raison, elles ne perçoivent pas l’ordre et l’harmonie qui relient étroitement tous les élémens dont la beauté se compose. Ce n’est pas tout : les trois facultés nécessaires à la perception du beau se modifient mutuellement. La sensibilité tempère l’austérité de la raison, excite l’ardeur de l’imagination ; la raison et l’imagination agissent à leur tour sur la sensibilité. Tous ces détails purement psychologiques sont présentés par M. Cousin avec une lucidité qui ne laisse rien à désirer.

La réunion et l’emploi simultané de la raison, du sentiment, de l’imagination, constituent ce qu’on appelle le goût. Le goût, qui a donné lieu à tant de vaines querelles, faute d’avoir été étudié dans les élémens dont il se compose, mérite pleine confiance, car les jugemens qu’il prononce ne reposent pas sur le seul témoignage des sens, comme le sentiment de plaisir que produit en nous un objet purement agréable, mais sur l’idée du beau absolu conçue par la raison et sur la conformité plus ou moins imparfaite des objets visibles avec cette idée. Ainsi tel objet qui nous plaît peut déplaire à d’autres ; chacun de nous, en présence de cet objet, a le droit d’affirmer le plaisir ou le déplaisir qu’il éprouve ; malgré leur contradiction, toutes ces affirmations sont également légitimes, car elles reposent exclusivement sur le témoignage des sens, et ce témoignage varie selon l’âge et le climat, selon la santé ou la maladie. Il n’en est pas ainsi des jugemens portés par le goût, car nous apprécions la beauté relative, c’est-à-dire la beauté des objets, d’après le type de la beauté absolue. La nature même du type que nous consultons donne à tous les jugemens prononcés par le goût un caractère d’universalité.

Tout en maintenant ce caractère d’universalité justement attribué par M. Cousin aux jugemens du goût, nous sommes bien obligé de faire une réserve, car il est manifeste que tous les esprits ne sont pas capables de comprendre ces jugemens. Puisque le goût est une