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tendre. M. Cousin, en racontant la vie de Santa-Rosa, en recueillant ses lettres et jusqu’à ses moindres billets, a fait une œuvre sainte. En effaçant les premières lignes de ce touchant récit, il ferait un acte de justice. Les hommes d’une telle trempe sont trop rares pour qu’on ne les environne pas d’un respect sans réserve. L’égoïsme est à la mode, le dévouement est traité d’enfantillage et de duperie : les écrivains dont la parole est écoutée se doivent à eux-mêmes de rendre au dévouement le rang qui lui appartient. Si le succès est la mesure de l’habileté, il ne faut pas laisser croire qu’il soit la mesure de la justice. Que la foule se fourvoie et confonde deux notions si diverses, je le comprends sans peine ; mais qu’un esprit élevé se méprenne comme la foule, je refuse de le comprendre. Ou l’histoire entière n’est qu’un pur exercice de mémoire, ou il faut estimer les entreprises humaines, non pas d’après le succès, mais au nom de la justice. C’est pourquoi je ne crains pas de recommander la vie de Santa-Rosa comme un des plus nobles exemples qui puissent être offerts aux générations futures.

Cousin a écrit avec un zèle religieux la biographie de Kant dans ses dernières années. Prenant pour guides deux amis intimes du philosophe de Koenigsberg, il nous a montré son intérieur jusque dans ses moindres détails. Jamais pendule montée sur diamant ne fut réglée avec plus d’exactitude que la vie de ce grand esprit, qui avait embrassé l’universalité des connaissances humaines. Depuis les sciences mathématiques jusqu’aux sciences médicales il avait tout approfondi, et s’était cantonné dans la philosophie comme dans la science des sciences. Ses découvertes en astronomie sont bien connues : il les rappelait parfois, mais toujours sans orgueil, car il ne rêvait qu’une seule gloire, organiser la science même de la pensée. Tous les momens de sa journée avaient un emploi déterminé. Les fleures de son sommeil étaient comptées. La durée de ses repas était déterminée d’une manière inflexible. Comparée à la vie de Kant, la vie claustrale serait presque un caprice, car il n’abandonnait pas une fleure à l’imprévu. Cette invariable régularité dans l’emploi du temps semblerait puérile, s’il s’agissait d’un autre esprit ; mais en présence des monumens immortels qu’il nous a laissés, nous ne pouvons que nous incliner. Il avait déterminé d’avance ce qu’il voulait faire, non pas pour un jour, mais pour la série entière des jours qui lui étaient réservés. Absorbé dans l’étude de la conscience, après avoir parcouru le cercle entier des connaissances humaines, il trouvait dans la contemplation de la vérité un bonheur calme et sans mélange. Fidèle dans ses amitiés, il a pu cependant encourir parfois le reproche d’égoïsme, car il évitait avec un soin assidu tout ce qui pouvait troubler ses études. Étranger à toutes les passions qui sèment sous nos pas les orages et les déceptions, il