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car sa femme et ses enfans, qu’il a laissés en Piémont, ont à peine le nécessaire. Il donne des leçons d’italien ; malheureusement Nottingham ne peut lui fournir un grand nombre d’élèves. Il commence à désespérer de l’avenir ; le sort de l’Italie dont il avait rêvé l’affranchissement, ajoute encore à la tristesse de sa vie précaire. Enfin un rayon inattendu vient éclairer sa solitude. Ne pouvant se dévouer pour son pays, où il ne peut rentrer sans s’exposer au dernier supplice, il veut se dévouer pour la Grèce, sœur aînée de l’Italie. Il demande à servir dans l’armée libératrice organisée par le comité philhellénique de Londres. Après bien des pourparlers, il réussit à partir. À peine, arrivé en Grèce, il entrevoit l’inutilité de son voyage. Le gouvernement, qui accepte avec, reconnaissance, avec empressement, les subsides du comité philhellénique, craint que ce nom trop connu ne soit pour les puissances européennes un sujet de défiance ; et le pauvre exilé insiste-en vain pour obtenir une épée : on lui offre un emploi dans l’administration. Condamné à l’inaction, il lutte quelque temps contre sa destinée ; quelques mois plus tard, il mourait les armes à la main dans un combat obscur, et ses amis avaient peine à retrouver ses restes.

On ne peut se défendre d’un profond attendrissement au spectacle de cette vie si loyale, si généreuse et si brusquement tranchée. Les lettres de Santa-Rosa, que M. Cousin nous a conservées, ne sont pas moins touchantes que sa vie. Ou l’intérêt que ces lettres nous inspirent n’a aucun sens, ou l’émotion morale doit être pour nous un enseignement. Pourquoi sommes-nous saisis d’admiration en voyant cette belle âme se consumer, s’épuiser en efforts sans nombre pour le triomphe du droit sur la force ? N’est-ce pas parce que nous reconnaissons en elle une incontestable supériorité sur les âmes vulgaires ?

Santa-Rosa n’a pas réussi ; mais il avait, pour lui la justice : il faut le plaindre et non le condamner. Il a vécu, il a combattu, il est mort pour le droit : aurons-nous le triste courage de lui reprocher sa défaite ? Victorieux il eût laissé une mémoire glorieuse ; vaincu, qu’il lui reste au moins l’admiration et la sympathie de toutes les âmes pour qui la justice n’est pas un vain mot.

Il y a dans les lettres de Santa-Rosa plusieurs passages d’une tendresse un peu efféminée qui blesseront sans doute plus d’un lecteur français, car ils s’accordent mal avec le caractère viril de ses entreprises ; mais, avec un peu de réflexion, on arrive à les comprendre. Mâle et intrépide en face du danger, Santa-Rosa oubliait dans la solitude et la prière ses instincts héroïques. Sa piété fervente nous explique le ton de sa correspondance. Partagé entre l’étude des problèmes politiques et la méditation religieuse, ce n’est pas merveille que l’amitié prenne parfois sous sa plume l’accent d’une passion plus