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dut enfin se rendre aux vœux de sa famille, à la volonté de sa mère, et fit son entrée à la cour. Ce fut dans un bal donné, au Louvre, dont M. Cousin a retrouvé la date précise. Son début fut éclatant : ses beaux cheveux blonds, ses blanches épaules, sa taille élégante et souple, sa marche tout à la fois gracieuse et nonchalante ; ses grands yeux d’un bleu azuré, sa bouche tour à tour dédaigneuse et souriante, lui conquirent tous les cœurs dès le premier jour. L’admiration et la flatterie s’empressaient autour d’elle. Le lendemain, elle était la reine de toutes les fêtes. Tous les beaux esprits du temps se réunissaient alors chez Mme de Rambouillet, dont le salon offrait le modèle accompli des belles manières et des conversations spirituelles et polies. L’urbanité dégénérait parfois en afféterie, les solides pensées, les sentimens généreux, cédaient parfois le pas aux saillies du bel esprit : Corneille était moins applaudi que Voiture ; mais à tout prendre, c’était une société pleine de grâce, et, comme on disait alors dans la langue du temps, un cercle de très honnêtes gens, c’est-à-dire très bien élevés, ne disant rien de trop, habitués à ménager tous les amours-propres, à flatter toutes les faiblesses, à se concilier la bienveillance de tous les interlocuteurs, sans acception de rang ou de qualité. Mlle de Bourbon fit merveille, dans le salon de Mme de Rambouillet et devint bientôt l’arbitre de tous les débats littéraires. Obtenir son approbation était presque une preuve de génie ; .encourir son dédain passait pour un signe de médiocrité. Son esprit, dont la culture était demeurée fort incomplète, mais naturellement délicat et pénétrant, bien que nonchalant comme sa démarche, trouvait sans effort des reparties ingénieuses ou piquantes. L’ironie dans sa bouche n’avait rien de blessant, et venait presque toujours au secours de la raison. Bien que Mlle de Bourbon fût demeurée fidèle à ses chères carmélites, son jeune cœur fut enivré par les triomphes du monde, et son rêve de couvent s’évanouit bientôt. Sans distinguer personne parmi ses nombreux adorateurs, elle accueillit tous les hommes et gouverna sa cour avec la sérénité d’un souverain habitué dès longtemps au pouvoir.

Arrivée à vingt-trois ans, elle fut mariée par sa mère au duc de Longueville, âgé de quarante-sept ans, veuf et père d’une fille de dix-sept ans. Mlle de Bourbon n’avait pas été consultée ; sa froideur Pour son mari se transforma bientôt en répugnance, lorsqu’elle le vit continuer ses assiduités auprès de la duchesse de Montbazon, qui était sa maîtresse depuis plusieurs années. Il ne faut donc pas s’étonner qu’elle ait suivi la mode de son temps et pris un amant. La conduite de Mme de Longueville appelle l’indulgence des juges les plus sévères. Le prince de Marcillac, qui devint plus tard duc de La Rochefoucauld, était alors un des plus brillans seigneurs de la cour.